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Chroniques
Médée
tragédie lyrique de Marc-Antoine Charpentier
À l’instar de l’Isis de Lully, Médée, unique (véritable) tragédie lyrique de Charpentier, créée sans succès en 1693, pourrait être surnommée « l’opéra des musiciens », tant le compositeur y multiplie les raffinements, notamment orchestraux. Ce faisant, il renonce à hiérarchiser les situations et, en somme, à ménager de véritables temps forts. Par exemple, le fait que le rôle-titre, écrasant, s’épande sur chacun des cinq actes (et là, c’est la responsabilité du librettiste, Thomas Corneille, qui est en cause) affaiblit l’impact de ses monologues, de même que l’écriture très ouvragée de la basse continue (ostinatos, chromatismes) tamise l’irruption des grands moments de chant (tel le divin duo final de Jason et Créuse). Bref, Médée est une œuvre subtile, longue, fort ardue à servir.
L’on sent qu’Emmanuelle Haïm a voulu en souligner les aspects les plus italiens, optant pour une direction plus pathétique, moins mignarde que celle de son mentor William Christie (qui grava deux fois l’ouvrage, en 1984 et 1994), obtenant de belles couleurs dans les récits accompagnés, de sensuelles inflexions dans les danses. Mais l’ossature rythmique des airs proprement dits, l’architecture des mouvements a tendance à s’effilocher et, sur la durée, cette direction manque de tenue, tandis que Le Concert d’Astrée manque parfois, tout simplement, de… justesse (les dessus, flûtes et violons). Ne parlons pas du chœur, criard et pâteux à la fois.
Les voix, du moins celles des dames, ont manifestement été choisies pour leur lyrisme ; du coup, on chante ici toujours trop en ne disant pas assez : tel est le cas de la pulpeuse Sophie Karthäuser (Créuse), soprano fruité que l’on préfère dans Mozart. Tel est encore davantage le cas de Michèle Losier (Médée) qui, durant les premiers actes, s’avère franchement incompréhensible : la texture de la voix est assez riche et dense (bien que trop proche de celle de Karthäuser pour contraster avec elle) mais la diction cotonneuse de façon rédhibitoire. À l’inverse, la jolie haute-contre d’Anders Dahlin manque de consistance, de chair, et semble parfois seulement déclamer son Jason. Médium éraillé mais autorité intacte, Laurent Naouri compose un Créon efficace, face à un Oronte auquel Stéphane Degout prête son timbre viril et vibrant, bien qu’un rien sec. Au sein des rôles secondaires, notons la superbe prestation de Katherine Watson en Italienne et en Fantôme.
Si la composante musicale de la soirée laisse une impression mitigée, sa composante scénique nous facilite le jugement : voilà un spectacle d’une laideur et d’une vacuité insignes. On ne comprend décidément pas le succès européen de Pierre Audi qui, ces dernières années, multiplie les productions insignifiantes, dans une esthétique qui ne semble pas avoir évolué depuis la fin des années soixante-dix : praticables peints en jaune HLM, éclairage de boîte de nuit, robes lamées dignes de Dallas, vareuses néo-médiévales de série Z, épées en plastique de MJC, direction d’acteurs venue de Plus belle la vie…
Pour pimenter cette piteuse « lecture », on a fait appel au plasticien Jonathan Meese qui a concocté un magnifique dispositif à base de bouche de Claudia Schiffer et d’yeux de Scarlett Johansson (ou l’inverse). Laissons-lui la parole, ça en vaut la peine : « j’ai juste écouté comme un enfant, je n’ai pas essayé d’être un expert (du mythe). J’ai collectionné plein d’objets, de trucs, tout finissait sur scène. Je voulais tout montrer en disant “regarde ce que j’ai trouvé”. C’est une technique, finalement, la non sélection ». On remercie chaudement le Théâtre des Champs-Élysées pour cette ode à l’amateurisme…
OR