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Méliès redécouvert
films de Georges Méliès – musiques variées
En 1888, grâce à l’argent d’un père et d’un beau-père tous deux dans le commerce de la chaussure, George Méliès (1861-1938) prend la tête du Théâtre Robert-Houdin, ouvert en 1845. Racheté à la veuve du plus célèbre illusionniste français du XIXe siècle (1805-1871), c’est un temple conçu pour surprendre le public à l’aide de moyens variés : trappes, automates, systèmes électromagnétiques, etc. À son tour le jeune directeur y créé des spectacles de prestidigitation et de mystification. Lorsqu’il découvre le cinématographe, fin 1895, Méliès saisit vite le potentiel d’un tel procédé. En 1896 naît la Star Film, société de production qui tourne près d’une cinquantaine de courts-métrages dès la première année.
Plutôt que recourir à des scènes de la vie quotidienne, le cinéaste choisi de filmer de brèves fictions qui célèbrent son goût pour onirisme et féérie – le trucage de l’arrêt de caméra assurant de belles possibilités d’escamotage ! Beaucoup furent perdues, voire détruites par leur auteur lui-même (1923), qui revoient le jour grâce au Projet Méliès, une collaboration franco-américaine (Cinémathèque française, Centre national du cinéma et de l’image animée, Library of Congress, Academy of Motion Pictures Arts and Sciences) : il s’avère, en effet, que nombre de ces courts-métrages firent l’objet de copies à destination du Nouveau Monde, ce qui explique leur renaissance. Lobster Films la supervise, société de restauration fondée par Serge Bromberg qui présente au micro chacun des douze films conçus entre 1903 et 1907.
Avec ses situations trépidantes et burlesques, des personnages issus du théâtre (danseuses, Commedia de l’Arte, etc.) ou du folklore fantastique (démons, astrologues, etc.), toute la magie du Parisien invite à un accompagnement musical rythmé. « Sur ses films, précise Bromberg, Méliès voulait qu’on joue des airs à la mode » (brochure de salle). Aujourd’hui, il revient à sept compositeurs formés au CNSMD de Paris de mettre en pratique leur art d’habiller les images, peaufiné dans la classe de Marie-Jeanne Serero.
Myung Hwang Park (né en 1987), Alexandre Bessonov (1989) et Émile Cooper Leplay (1995) livrent chacun une seule partition durant le programme. Signant un pastiche qui abrite les douze coups d’une horloge, le premier illustre de références baroques et romantiques l’un des nombreux voyages dans l’espace imaginés par le père de l’Académie de Prestidigitation. Le deuxième marie énergie et sortilège pour peindre les tracas d’un maestro face à l’amusante révolte d’instruments. Enfin, le troisième recourt surtout à la percussion et aux cordes pour traduire la tension d’un pacte satanique – Les quat’cents farces du diable s’affirme également étrange dans sa forme, puisque composé des meilleures images, noir et blanc ou couleurs, venues de différentes sources internationales, et par le fait que Bromberg reprend ici la tradition du boniment (un récit commenté de l’action).
Sensible à ce cinéma ancré dans le temps autant qu’il lui échappe, Baptiste Cathelin (1990) brosse la mélancolie d’une époque qui aimait ridiculiser flics et bourgeois, sans appuyer les gags. Puis il cisèle le mystère de l’apparition d’une sirène à l’aide de silences percés de soli soudains et de réminiscences debussystes. De son côté, Benoît Dupont (1991) emprunte des teintes aux musiciens de l’époque (Groupe des Six, Stravinsky, etc.) dans sa mise en abime d’une lanterne magique. Pour Les incendiaires, il épouse les climats d’un fait divers reconstitué : tension d’une poursuite policière, angoisse carcérale puis suspense macabre autour d’une guillotine qu’on prépare. Maël Bailly (1988) [lire nos chroniques du 4 octobre et du 19 novembre 2019] use d’un langage plus contemporain pour répondre aux fréquentes surprises visuelles : cordes grinçantes, chocs de cailloux, effets de souffle à la flûte, etc.
Terminons avec Théodore Vibert (1993) pour qui travailler avec un réalisateur du passé n’est pas si évident – « on apporte notre vision, un nouveau souffle mais il y a toujours la crainte d’être hors-sujet » (ibid.). Après avoir offert, avec le déploiement du merveilleux éventail vivant, une ambiance assez néo-classique, il illustre deux évocations infernales à l’aide d’une musique fragmentaire et percussive (cluster, pizz’, claquement de doigts, onomatopées, etc.). Conduit par son directeur musical Léo Warynski, l’Ensemble Multilatérale montre qu’il peut se plier aux demandes les plus variées.
LB