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Chroniques
Münchner Philharmoniker, Valery Gergiev
Bruckner et Prokofiev
Curieux couplage que celui de cette soirée imaginée par le maestro russe ! Peu importe, au fond, puisque l’offre pléthorique de la cité en matière de programmes classiques autorise justement tout… ou presque. Ici, les concerts sont de toutes façons prestigieux, le mélomane munichois n’ayant que l’embarras du choix entre le Sinfonieochester des Bayerischen Rundfunks et Mariss Jansons [lire notre chronique du 17 mars 2016], le Münchner Kammerorchester et Alexander Liebreich, le Bayerische Staatsorchester et Kirill Petrenko, enfin les Münchner Philharmoniker à la tête desquels Valery Gergiev succède à Lorin Maazel.
Une première partie russe, puis une symphonie de Bruckner. Sergueï Prokofiev, pour commencer, avec la Symphonie en ré mineur Op.25 n°1 qu’il écrivit au cœur de la Grande Guerre. Si Gergiev est indéniablement un bon interprète de ce musicien, il faut pourtant avouer que la Classique ne lui convient pas vraiment – à moins qu’il n’ait pas encore compris l’acoustique capricieuse du Gasteig, c’est possible. L’Allegro est trop lourd, le Larghetto prend des temps de sociétaire et le Molto vivace final n’est que brutalité. Seule la Gavotte fonctionne, même si elle ne rend pas franchement compte de l’influence d’Haydn, c’est dommage.
Trente-six ans après, Prokofiev achève sa Symphonie en ut # mineur Op.131 n°7, quelques mois avant qu’un AVC le terrasse. L’exécution de ce soir est un vrai bonheur. Valery Gergiev apporte un soin très précieux au paisible Moderato dont il fond habilement les timbres, à l’inverse du Scherzo sur-contrasté, particulièrement expressif. Quel plaisir que ce lyrisme extrême de l’Andante ! On se prend à en déplorer la concision… Après l’expérience de l’opéra, c’est le savoir-faire du ballet que le chef convoque dans le dernier mouvement, Vivace de feu qui fait bouger les fauteuils. Il n’est pas question de douter de l’acoustique, cette fois : la masse est dextrement sculptée, grandiose.
Après l’entracte, on quitte le XXe siècle. En 1873, Anton Bruckner entreprend sa Symphonie en ré mineur n°3 WAB 103, qu’il dédie à Richard Wagner. Moins d’un an après avoir tracé le point final, il la révise en entier. En 1876, il retouche encore le deuxième mouvement. C’est dans cet état que l’œuvre est créée le 16 décembre 1877, sous sa battue, à Vienne. Cette première lui donne l’idée de revoir encore le Scherzo. Deux décennies s’écoulent, et voilà que le vieux maître autrichien doute de sa production complète, au point de demander de l’aide à un élève de trente-cinq ans, Franz Schalk (futur compagnon de route de Strauss dans l’initiative du Salzburger Festspiele) dans la remise en chantier de ses travaux. C’est cette dernière version de 1889, révélée au public par Hans Richter quelques jours avant Noël 1890, qu’on joue ce lundi.
La veine héroïque de la Wagner-Sinfonie sied assez bien à Valery Gergiev.
Si quelques détails n’étaient pas toujours exacts dans la Septième de Prokofiev, laissant même penser à un manque de mise en place, la perfection technique de l’exécution frappe tout de suite. Le Misterioso chante fabuleusement et nimbe Brünhilde et Tristan d’une auréole sacrée. L’Adagio est traversé d’une gravité tendue, une prière qu’on n’élève que par le labeur quotidien de la terre. Bravo aux cordes munichoises qui, à la suite des bois, superlatifs, se distinguent dans un Scherzo enlevé. Aux cuivres de briller dans le dernier mouvement, Allegro replet qui convainc. La seconde saison de Gergiev aux commandes de la Philharmonie de Munich vient d’être rendue publique ; gageons qu’elle bénéficiera bientôt d’une « prise de marques » encore plus concluante.
HK