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Chroniques
Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi
Les mois suivants la création d’Attila à Venise, ouvrage inspiré par une pièce de Zacharia Werner [lire notre critique du DVD], Giuseppe Verdi se tourne vers Shakespeare pour la première fois de sa carrière – suivront plus tard Otello (1887) et Falstaff (1893), tout deux présentés à Milan. Francesco Maria Piave en réalise le livret à partir de dialogues en prose fournis par le musicien, lequel écarte les personnages secondaires au profit des sorcières qui plongent le drame sanglant dans le fantastique. Dirigiste, Verdi l’est ensuite avec l’équipe du Teatro della Pergola (Florence), surveillant jusqu’au soir de la première, le 14 mars 1847, mise en scène, décors et implication du couple-vedette, Felice Varesi et Marianna Barbieri-Nini. Si ce dernier enchante le public, l’absence d’histoire amoureuse et d’exaltation patriotique déconcerte. Remaniés pour Paris en 1865 (avec ballet et chant de victoire obligés), les quatre actes ne séduiront pas plus.
De retour à Marseille après quatorze ans d’absence, dans une coproduction avec Avignon, Macbet est confié à Frédéric Bélier-Garcia, déjà en charge, in loco, du Comte Ory et de Don Giovanni [lire notre chronique du 27 octobre 2006]. Pour lui, l’ouvrage du jeune Verdi évoque le désir maudit, qui nous hante tous, d’être quelqu’un d’autre. « Comme si, en nous, une voix confuse, intérieure, insomniaque, ne cessait de se proclamer insatisfaite de la place qui nous est assignée sur cette terre. Nous sommes à la fois ce vœu d’être autre, et la peur, l’inquiétude affolante que cette envie inspire. Comment en effet prétendre dépasser ce que nous sommes sans craindre la chute, l’abandon et la calamité ? » (brochure de salle). Ce désir et cet effroi, il revient à des monstruosités de l’incarner : sorcières, fantômes et meurtriers.
Pour mettre en relief des mondes perméables, dont témoigne une tapisserie parfois translucide, Jacques Gabel créé un dispositif modulable : deux murs latéraux aux portes vitrées escamotables, et celui en haut de scène, percé d’un espace théâtral en abyme, avec estrade amovible (table au banquet de l’Acte II, etc.). C’est donc dans un asile délabré – vision de sa propre ruine ? – que le héros aborde des sorcières aliénées, dont les clairs-obscurs de Roberto Venturi peaufinent l’aspect spectral. Le décor forestier semble ensuite dispensable, d’autant que sa réalisation jure avec le raffinement général. Les apparitions se multiplient à l’Acte III, et l’angoisse avec elles (enfant trainant au ralenti son canard à roulettes, digne d’un film d’horreur asiatique, etc.). Habile à animer des groupes avec fluidité, Bélier-Garcia privilégie psychologie, onirisme et intemporalité, dans l’héritage shakespearien.
Habillée par Catherine et Sarah Leterrier (bottes hautes, manteaux longs, fraises et robes noires, etc.), la distribution vocale séduit de bout en bout. Première à étrenner le trône conquis, Csilla Boross offre un chant large, facile et onctueux [lire nos chroniques du 26 juillet 2014 et du 5 février 2012]. Juan Jesús Rodríguez nuance le sien, souple et corsé, pour servir au mieux la fragilité du rôle-titre. Entre I due Foscari l’an passé et Don Carlo en juin prochain, Wojtek Smilek (Banquo) fait résonner sa basse avec un talent connu [lire nos chroniques du 26 juin 2015, du 26 avril 2009 et du 5 janvier 2007, entre autres].
D’un ténor lumineux, tendre et vibrant, Stanislas de Barbeyrac (Macduff) conquiert la salle phocéenne après bien d’autres, en Europe [lire nos chroniques du 4 avril 2016, du 22 mai 2015 et du 8 septembre 2011]. Vanessa Le Charles (suivante), Xin Wang (Malcolm) et Jean-Marie Delpas (médecin, etc.) ne déméritent pas, de même que Pascale Bonnet-Dupeyron et Mélanie Audefroy (deuxième et troisième apparitions). Le chœur maison est vaillant, tandis que l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, fermement tenu par l’excellent Pinchas Steinberg, navigue entre frémissements intérieurs et fougue romantique.
LB