Chroniques

par michel slama

Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 7 mai 2015
nouvelle production de Macbeth (Verdi) au Théâtre des Champs-Élysées
© vincent pontet

Les mises en scène d’opéras de Verdi au Théâtre des Champs-Élysées sont assez rares pour que cette nouvelle production de Macbeth soit considérée comme un événement de ce printemps parisien. Le spectateur averti retrouve le duo qui fit mouche in loco en 2010 avec Falstaff, le maestro Daniele Gatti et le cinéaste Mario Martone [pour la réalisation, lire notre chronique du 27 juin 2008 ; pour la fosse, lire notre chronique du 30 juin 2014].

Dès le Prélude, l’Orchestre national de France et son directeur musical nous plongent au cœur du drame shakespearien, en trouvant cependant de vraies couleurs italiennes, équilibrant emphase et noirceur, mélodrame et fantastique. Tout au long du spectacle, le projet orchestral du chef se construit minutieusement et inexorablement vers la descente aux enfers du couple maudit et la victoire du bien sur le mal. C’est une lecture incroyable de l’œuvre de Verdi, dont la pulsation rythmique palpite comme le râle ensanglanté des assassinés. Gatti rend ainsi un vibrant hommage à son maître, Claudio Abbado, qui nous a laissé un témoignage sans rival des représentations scaligères de 1975, avec le Macbeth de Piero Cappuccilli et l’inégalée Lady Macbeth de Shirley Verrett qu’on appelait la Callas noire.

On oublie souvent que si Macbeth fut donné en 1847 à Florence au Teatro della Pergola, lors des années de galère du compositeur, Verdi l’a revu une première fois en français pour Paris (1865), avec des ajouts de taille comme l’air La luce langue (Acte II) et l’incontournable ballet de l’Acte III, cher au cœur des Parisiens. Paris l’ayant accueilli un peu fraichement, Verdi a encore remanié son œuvre pour la Scala, en 1874 : c'est cette version que Gatti a retenue.

Ceux qui s’attendent à une mise en scène revisitée, provocatrice et omniprésente seront déçus. Le chef italien a souhaité une production qui n’aliénât pas la musique et qui, au contraire, s’effaçât devant elle. Le défi est relevé de façon simple par Mario Martone. Aucun décor pendant les trois heures du spectacle, mais un habile jeu de lumières qui donne vie à des accessoires rares mais essentiels, accompagné de projections vidéo. Ainsi un fauteuil ordinaire devient-il trône d’acier au premier acte. Un miroir géant qui s’inclinera à quarante-cinq degrés, noir reflet psychanalytique du duo criminel, permet aussi de deviner le sabbat d’une sorcière en transe. L’apparition spectaculaire de vrais chevaux sur les planches, censés escorter les forces du bien, à quatre reprises, reste un peu étrange, la panique des animaux confrontés à la scène faisant peine à voir. On regrettera aussi l’abus de vidéos à la Bill Viola et l’apparition de danseuses figurantes à la nudité triste, au milieu des sorcières barbues. Quelques détails – caprices de metteur en scène ? – agaceront, comme cette valse hors de propos, dansée maladroitement par les époux diaboliques arrosant leur assassinat du Roi Duncan, l'absurdité de la mort de Banquo qui tombe avant de se faire trucider, Macbeth porté par les sorcières pour se faire embrocher sans résistance ni combat par Macduff, etc.

Le couple vénéneux est avant tout servi par un Macbeth qui tient ses promesses. Roberto Frontali, qu’on connaissait pour ses Germont, Iago et Posa, est une révélation dans le rôle-titre. Sans être le Macbeth du siècle, sa voix de baryton verdien est puissante et à l’aise dans l’ensemble de la tessiture. Il est à la fois le guerrier valeureux et l'être veule, influençable et sanguinaire qui ne veut rien laisser au hasard. La Lady de Susanna Branchini est physiquement convaincante : elle est pulpeuse et maléfique. Il faut bien cette dose de séduction surnaturelle digne de Dalila pour convaincre son époux de commettre tous ces crimes. Du coup, on en oublierait presque une voix inégale et imparfaite. Il est vrai que Verdi souhaitait une « voix laide » pour ce rôle et qu’il est aujourd’hui difficile de le distribuer, mais la ligne de chant est désorganisée et le tissu vocal parsemé de trous. Le soprano chante fortissimo les notes hautes et escamote par des sons filés, voire étouffés, les médiums et les graves qu'elle semble ne plus avoir. Les suraigus, dont le redoutable contre ré bémol de la scène de somnambulisme, ne sont pas toujours assurés. Pourtant, le spectateur y croit, l'actrice sachant compenser ses carences vocales par un jeu et une présence extraordinaires. Le Banquo prometteur d’Andrea Mastroni a fière allure et complète le trio italien des premiers rôles.

Quant à lui, le trio français est remarquable, avec en tête Jean-François Borras qui triomphe en Macduff. Ah, la paterna mano, l’un des tubes des ténors italiens, lui vaut une ovation bien méritée. Habitués du lieu, Sophie Pondjiclis et Jérémy Duffau sont parfaits ; ces jeunes espoirs affirment d’œuvre en œuvre leur évolution vocale et théâtrale. Enfin, le public acclame l’excellent Chœur de Radio France dont de nombreux membres sont mis à l’épreuve du théâtre – sorcières et comprimari, improvisés mais talentueux.

MS