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Chroniques
Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi
C’est dans un Nationatheater plein comme un œuf que l’on prend place, par soirée caniculaire. Créée à l’automne 2008, la production assez radicale de Macbet par Martin Kušej pourrait devoir à son ancienneté de ne point rebuter le public, pense-t-on d’abord, en souvenir des autres travaux de l’artiste autrichien [lire nos chroniques de Die Gezeichneten, Lady Macbeth de Mzensk, La clemenza di Tito, Carmen, Genoveva et Der fliegende Holländer]. Mais à la découvrir l’on comprend ô combien cette mise en scène est cohérente et percutante.
Dans le décor unique et rudimentaire de Martin Zehetgruber – un espace nu, gris, que jonche un large tertre de crânes humains immaculés, et dont la vastitude est réduite par une simple bâche pour certaines scènes, les éléments constants étant une tente, celle de tous les crimes, et un énorme lustre, celui du pouvoir convoité, arraché, jalousement sauvegardé, enfin perdu –, l’infernal couple verdien trame sans vergogne des mésactions dont rien ne nous est épargné. Avec un à propos souvent cru, que d’aucuns diront gore, Kušej jamais n’hésite à montrer fausse couche, assassinat, décapitation et autre pendaison de dépouille royale telle carcasse animale au crochet du boucher, sous les lumières volontiers blafardes de Reinhard Traub qui rapidement gagnent une aura d’épopée. Dans les costumes contemporains de Werner Fritz, ceux des guerres d’aujourd’hui à peine rehaussés par quelques éléments d’un folklore monarchique échappé d’un passé de légende, le règne écossais s’approche du spectateur comme menace le danger. La plupart du temps, les voix splendides du Bayerischer Staatsopernchor chantent aus der Ferne, cédant ainsi place à une armada de figurants concentrés à soutenir tous les désastres. De même les sorcières, incarnées par six enfants sages à la chevelure blonde et bien peignée – celle de Malcolm, futur vainqueur des méchants et prochain souverain. Encore songe-t-on à Victor Hugo, dont le théâtre n’eut rien de sobre ou mesuré, qui, dans un essai de 1864, soulignait à juste titre le côté Grand Guignol, parfois drôle dans l’horreur, des tragédies de Shakespeare : loin de sembler excessives, les épouvantes ici cultivées rappellent l’origine de l’opéra de Verdi avec un panache bien venu.
À la tête de l’Orkiestra symfoniczna filharmonii im. Karola szymanowskiego w Krakowie (Orchestre symphonique de la philharmonique Karol Szymanowski de Cracovie) trois jours plus tôt au festival Rossini in Wildbad [lire notre chronique d'Ermione], l’excellent Antonino Fogliani cisèle somptueusement la partition dans une interprétation frémissante qu’il infléchit dans une urgence indicible. Et dans ce grand chambardement passionnel, les îlots plus calmes mais toujours intranquilles bénéficient d’un raffinement inouï. Nul pupitre du Bayerisches Staatsorchester, décidément fort endurant durant ce mois de juillet chargé en représentations, n’est en reste. Saluons-en les bois, parfaits et délicatement colorés, et surtout les cordes qui magnifient l’italianità de l’œuvre.
Ce dessin subtil tenu par le chef contamine le chant, servi par un plateau vocal renversant. Au Macduff incisif et émouvant de Giovanni Sala dont séduit l’aigu lumineux répond le digne Malcolm d’Armando Elizondo, poète au timbre plus moelleux, parfaitement employé dans ce rôle. La jeune Mirjam Mesak signe une intervention attachante en Dama. Quant à lui, le trio de tête laisse pantois !
Puissant à faire peur, donc idéalement intégré au climat particulier du spectacle, le baryton-basse Christian Van Horn déploie un véritable fleuve vocal dans la partie de Banco [lire nos chroniques de Tosca, Tannhäuser, Macbet, Les Troyens à Paris et Faust]. Absolument déjantée, la Lady d’Ekaterina Semenchuk jamais n’encombre sa présence de quelque decorum, mais si le sens du théâtre la fait brut de décoffrage son art, immense, cultive un chant à l’opposé de la laideur habituelle. Conscient du désir émis par le compositeur lui-même, avouons que l’évidence remarquable du legato, la facilité avec laquelle sont amenés les aigus les plus expressifs et le corps incomparable des registres médium et grave renouvellent favorablement l’approche du rôle [lire nos chroniques d’Il trovatore, Sadko et Les Troyens à Munich]. Au rendez-vous de cette musicalité exacerbée et d’un drame de chaque pas, nous retrouvons George Petean dont la fiabilité paraît à toute épreuve [lire notre chronique de L’elisir d’amore, Rigoletto, Les vêpres siciliennes et Simon Boccanegra]. Tour à tour belliqueux, robuste, tendre à pleurer, le baryton roumain domine une représentation vigoureusement acclamée.
BB
NB | L’illustration ne montre pas les interprètes du soir, il s’agit d’une photo de production