Chroniques

par isabelle stibbe

Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 4 avril 2009
nouvelle production de Macbeth à Bastille, signée Dmitri Tcherniakov
© ruth walz | opéra national de paris

Cette saison de l’Opéra national de Paris débutait avec un Eugène Onéguine remarqué [lire notre chronique du 8 septembre 2008]. Pour cette nouvelle production de Macbeth donnée à Bastille, on retrouve le travail du metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov. La nouvelle coqueluche des scènes internationales montre cette fois l’étendue de sa palette en intégrant à l’œuvre verdienne les nouvelles technologies. La représentation s’ouvre sur une immense photo satellite façon Mappy : carte d’une petite ville, curseur, clic puis zoom de plus en plus précis pénétrant une place grise et impersonnelle, la demeure des époux Macbeth, à laquelle on accède par une fenêtre, au terme d’un fondu enchaîné raccordant le cadre photographié au cadre réel du décor.

Si Verdi privilégie, dans le livret de son premier opéra shakespearien, le drame intime joué dans les âmes de Macbeth et de sa femme, le metteur en scène renforce cette intention en faisant plonger dans leur intérieur, aux deux sens du terme : lieu d’habitation et lieu de conscience. Le spectateur assiste au drame soit de haut, soit de loin, devenant, selon l’expression de Tcherniakov dans la note d’intention reproduite dans le programme, « témoin d’une expérience ». Cette vision intéressante est incontestablement celle d’un homme de théâtre qui, tout au long du spectacle, sait remplir l’espace, diriger les acteurs, alterner souffle épique (découverte de l’assassinat de Duncan, scène des réfugiés) et drame intimiste. Elle se fait malheureusement au détriment de l’écoute musicale. La pièce maîtresse du décor – à savoir ce cadre lumineux matérialisant la fenêtre des époux – relègue les chanteurs dans les profondeurs de la scène. Si la plupart arrivent à passer l’orchestre, on perd malgré tout l’intégralité de leur puissance vocale. Et la distance spatiale devient parfois indifférence.

Contestable encore est le traitement des sorcières, qui se retrouvent fondues à la foule. Il faut être « culotté » pour écarter l’élément central que Verdi considérait comme l’un des trois rôles de l’opéra, avec Macbeth et Lady Macbeth. Le metteur en scène signifie que leurs voix n’existent que dans l’ivresse de pouvoir. C’est vider la pièce du surnaturel et de sa fonction : la nécessité qui pousse Macbeth à sa perte, de et contre son gré. À faire du couple démoniaque un couple banal de parvenus, le tragique s’efface, l’œuvre perd de sa force.

C’est aussi le reproche principal qu’on peut faire au Macbeth de Dimitris Tiliakos qui, trop monochrome, ne porte pas vocalement la charge dionysiaque du héros shakespearien. Pour sa Lady Macbeth, Verdi voulait une voix « caverneuse, rauque, étranglée » : ce n’est pas le cas de Violeta Urmana qui dispose d’un bel instrument ; malgré quelques suraigus acides, la Lituanienne se tire plus qu’honorablement d’une partition éprouvante, jouant de coloris variés qu’elle sait rendre sombre ou, à l’inverse, étonnamment clair dans les parties de colorature. Ferruccio Furlanetto compose un Banquo crédible et vocalement plus imposant que Macbeth. Le ténor Stefano Secco (Macduff) est dans ses grands jours : timbre immédiatement reconnaissable et souffle impressionnant ; malgré la lumière naturelle de sa voix, il arrive à faire entendre la douleur sauvage que ressent un père dont les enfants viennent d’être assassinés.

La version parisienne de 1865, remaniée par Verdi douze ans après la création à Florence, est dirigée par Teodor Currentzis avec autant d’investissement physique et de mouvements de cheveux [lire notre chronique du 4 juillet 2008]. En ne s’arrêtant pas à cette gestuelle un rien agaçante, on découvre un chef qui alterne langueur et emphase et tire de belles couleurs de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, même si l’on préférerait plus d’homogénéité parfois, côté cuivres notamment. Les chœurs sont inégaux, brouillons vers la fin, carrément laids dans la scène finale où ils se font entendre des coulisses au moyen d’une sonorisation mal réglée… des ajustements que les prochaines représentations effectueront certainement.

IS