Chroniques

par gérard corneloup

Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Lyon
- 15 octobre 2012
nouveau Macbeth (Verdi) à Lyon, signé Ivo van Hove
© jean-pierre maurin

Il fallait s’y attendre : le monde tout puissant de l’informatique et du numérique devait, fatalement, s’emparer, pour ne pas dire s’abattre, sur le monde de l’opéra, avec ses ordinateurs, ses écrans, ses portables et tout le petit univers connexe des informaticiens qui vont avec. C’est fait, sur une scène dont le directeur affectionne tout particulièrement la particularité scénique des ouvrages qu’il monte : l’Opéra national de Lyon, sous la férule de Serge Dorny. C’est fait et plutôt bien fait, sous la griffe du metteur en scène Ivo van Hove, connu pour ses « relectures » et pour les décalages scéniques auxquels il se plait à soumettre les ouvrages, tant dramatiques que lyriques [lire notre chronique du 15 septembre 2012].

Ici, c’est présentement le Macbeth de Verdi qu’on soumet à l’exercice… à la torture, diront certains. Dès le lever de rideau, les dés sont jetés : ce soir, point d’orage déchaîné, point de forêt en Écosse, de sorcières qui se réuniraient pour ourdir de sombres complots. Nous sommes dans le monde grisâtre, blanchâtre, aseptisé de quelque entreprise américaine de la finance, comme en témoignent les tours de verre qui dominent la scène. Un monde où la seule couleur est celle émanant des rangées d’écrans, devant lesquelles s’agitent fébrilement tout un monde de traders, de secrétaires, de cadres sinon dynamiques du moins empressés. Là, sous les yeux blasés de la femme de ménage de service, qui continue son nettoyage sans fin, les messieurs en costume sombre vont s’affronter, se démener, imaginer, enfreindre, voire (comme le patron Macbeth) aller jusqu’au crime.

Impossible de le nier : sous ses aspects iconoclastes, pour ne pas dire complaisants, le travail de l’artiste belge est à la fois efficace, construit, bien mené, et assure à l’ouvrage une lecture intense et dense, amalgamant avec brio les diverses composantes scéniques et musicales d’un découpage d’origine plutôt hétérogène, pour ne pas dire conventionnel et même désordonné, selon les critères obligés de l’époque. L’emploi, omniprésent mais toujours judicieux, de la vidéo conçue et brillamment conduite par Tan Yarden, n’est pas un surplus racoleur mais une composante bénéfique. Dommage que la dernière séquence, où tout ce monde se désagrège sous les coups de boutoir d’une masse de post-soixante-huitards agités autant qu’indignés, clôt ce récit impitoyable dans la joyeuse pagaie d’une fiesta superfétatoire.

Musicalement, ce spectacle associe une bonne dose de réussite et quelques éléments qui le sont nettement moins. Remarque introductive : pour une fois, le choix, non pas du ténor mais des ténors – ils sont deux ! – s’avère judicieux et même excellent. Si si ! Que ce soit le Russe Dmytro Popov en Macduff et l’autre Russe Viktor Antipenko en Malcolm. En revanche, dans le rôle fondamental et écrasant de Lady Macbeth, le soprano géorgien Iano Tamar offre une voix singulièrement fatiguée et un chant qui met un bon acte (c’est tout de même beaucoup) à s’imposer. Quant au baryton azéri Evez Abdullah, il ne répond pas toujours aux exigences du rôle-titre, avec un manque cruel de volume, un phrasé incertain, et peine vraiment trop dans des aigus défaillants. Côté basse, au contraire, l’Italien Riccardo Zanellato (Banco) associe un chant expressif à des aigus sonores et solides. Autre atout, qui n’est pas une surprise en la matière pour les mélomanes lyonnais : les chœurs maison sont un modèle de musicalité, d’expressivité et de cohésion, de surcroîts excellents dramatiquement.

On peut également saluer la vigueur et la malléabilité des divers pupitres de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, comme rester perplexe face à la direction développée par son chef permanent, Kazushi Ono. Certes, le travail est soigné, précis, subtil même, bâtissant une architecture sonore élaborée et fort bien dosée. Mais les tempi sont trop souvent pesants et les envolées lyriques ont trop tendance à se faire prier. Bref, une lecture qui devrait s’épanouir plus, s’humaniser, vibrer, quitter la sagesse extrême-orientale pour la furia italienne belcantiste.

GC