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Chroniques
Macbeth Underworld | Macbeth au-delà
opéra de Pascal Dusapin
Ce 25 mars, suivie de trois autres soirées, devait se donner la création française de Macbeth Underworld, à l’Opéra Comique. Comme on sait, l’intervention présidentielle du jeudi 12 mars bouleversa la vie culturelle du pays, les théâtres devant fermer pour une période indéterminée afin de faciliter la distanciation sociale – exception française oblige, le parc Disneyland Paris eut jusqu’au samedi 14 mars pour le faire ; mais c’est vrai que nous parlons là d’autre chose... Désormais, l’épidémie de Covid-19 contraint chacun à un confinement que l’on tente de vivre au mieux, malgré la colère de savoir nos dirigeants plus mobilisés sur le front économique que sanitaire. C’est donc par l’intermédiaire d’un film réalisé au Théâtre Royal de la Monnaie (Bruxelles), où se le huitième opéra de Pascal Dusapin était créé le 20 septembre 2019, que nous le découvrons.
S’inspirant de la plus courte tragédie de Shakespeare (1623) – auteur lui-même captivé par la vie d’un roi écossais au mitan du XIe siècle –, le compositeur français et son librettiste Frédéric Boyer s’intéressent au couple Macbeth passé dans l’au-delà pour y revivre sa folie meurtrière. C’est Hécate, déesse de la nuit et de la mort, qui le convoque, lors du prologue aux huit chapitres de l’ouvrage. Des personnages peuplent ce dédale ténébreux dont les Sœurs bizarres que Dusapin a voulu jeunes et attrayantes : « elles sont l’oracle, une sorte de diable à trois têtes, mais ce sont des fées aussi » (brochure de la salle parisienne). On trouve également le Spectre de Banquo, l’ami traitreusement éliminé – « la voix du destin de Macbeth, de sa conscience : c’est lui qui annonce le désastre. Il est une sorte de commandeur ». Dans la pièce originale, les enfants ne manquent pas, que ce soit Fleance, qui survit au guet-apens tendu à son père, ou le fils de Macduff, assassiné avec sa génitrice, auxquels s’ajoutent l’apparition ensanglantée qui convainc Macbeth d’une toute-puissance, forcément illusoire. Symbole de l’innocence qui fait sa force, l’Enfant ici présent se félicite d’avoir sa voix comme seule épée pour mettre à genoux le tyran. Quant au Portier « rustique et ridicule », il s’avère le gardien terrifiant des Enfers – mais aussi celui « de notre conscience et de notre mélancolie », comme l’explique Boyer.
Bien évidemment, Dusapin a aussi une vision nette des époux criminels de cette digression noire et enchantée : « ils ne savent plus ce qu’ils ont fait mais ils doivent le faire. Tout se passe comme s’ils devaient le refaire ou le rejouer. C’est plus fort qu’eux. Ensemble. Ils confondent tout, l’apparence, la réalité, l’avant, l’après ». Cela est rendu possible car Lady Macbeth n’est pas une furie, mais une femme insidieuse et confuse qui se dissout dans la culpabilité et la folie lorsque son mari perd pied. Lui est un homme fluet qui va cesser de penser, qui tue le roi parce qu’il croit le vouloir tout comme son épouse, confus comme elle. Et pourtant, aucun reproche ne fuse jamais car l’amour cimente ces monstres tout au long de leur chute.
« C’est un opéra, comme sont souvent les opéras, ajoute encore l’auteur de Faustus, the last night [lire notre chronique du 16 novembre 2006]. Plein d’effroi, alarmé, fragile, cocasse malgré tout et ça chante tout le temps ». Effectivement, les artistes lyriques ont la part belle dans une production où arbres, escaliers en colimaçon et couche royale alternent avec une grande fluidité qui renforce la sombre féérie – Thomas Jolly (mise en scène), Bruno de Lavenère (décors), Sylvette Dequest (costumes) et Antoine Travert (éclairages). Georg Nigl et Magdalena Kožená apparaissent habillés de blanc, teint blafard et lèvres écarlates. En être déboussolé, le baryton fait montre d’une grande aisance sur toute la tessiture, tandis que le mezzo répond à l’exigence de suavité, avec la souplesse qu’on lui connaît. Ekaterina Lekhina, Lilly Jorstad et Christel Loetzsch forment un trio équilibré. Kristinn Sigmundsson (Spectre), Elyne Maillard (Enfant) et Graham Clark (Hécate, Portier) complètent efficacement la distribution. Directeur musical de La Monnaie depuis 2016, Alain Altinoglu est en fosse avec son orchestre, défendant un compositeur qu’il connaît bien [lire notre critique du CD Perela, uomo di fumo].
LB