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Chroniques
Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi
Le Grand Théâtre de Genève vient de clore sa saison lyrique avec une nouvelle production du Macbeth de Verdi, dont la direction musicale était confiée à Ingo Metzmacher et la régie à Christof Loy. Si les conceptions dramaturgiques de ce dernier peuvent parfois surprendre, sinon choquer [lire nos chroniques du 14 mai 2010, du 4 mai 2011 et du 1er août 2011, ainsi que notre critique du DVD Lulu], celle qu’il présente ici est des plus convaincantes.
Décor unique, une salle de château moyenâgeux comme on en représentait à l’époque de la création de cette version définitive, en 1874, mais épurée de tout accessoire inutile. Noir et blanc du décor et de costumes intemporels, déclinant toute la gamme des camaïeux de gris. Terrible signe de l’enfermement des deux protagonistes, dans la folie dévastatrice et criminelle de leur soif de pouvoir démesurée. Symbolique du blanc et du noir parfaitement intelligible et efficace. Il n’est pas jusqu’au sang versé qui ne devienne noir, ou les cheveux de Lady Macbeth blanchis au quatrième acte, puisque des années de souffrances se sont écoulées depuis celui qui précéde.
Éclairages obliques, contre-jours et mouvements de tulles ménagent d’impressionnants jeux de profondeurs, de transparences et d’ombres. La présentation visuelle s’applique à une narration précise du drame, sans souci de quelque « relecture décapante », mais au contraire en respectant précisément les didascalies du livret, ce qui n’est pas fréquent, et surtout dans une remarquable direction d’acteurs, jusque dans les mouvements de foules, du groupe des sorcières en particulier. Tout cela concourt à exalter la puissante force émotionnelle de l’œuvre, comme dans le chœur sépulcral des victimes de Macbeth (ajouté en 1865), au début de l’Acte IV, ou le Brindisi non moins funèbre du II.
D’une distribution parfaitement homogène, on distinguera le vaillant Macduff d’Andrea Carè et le Banco de Christian van Horn. Davide Damiani campe un Macbeth dramatique un peu fruste vocalement, mais c’est aussi le rôle qui le veut. Quant à Lady Macbeth, Jennifer Larmore l’aborde comme un rôle de Donizetti – ce qui est fort juste, la première version de Macbeth étant à peu près contemporaine de la Caterina Cornaro du maître bergamasque. Art du bel canto romantique, avec l’ornementation des reprises en da capo, multiples registres expressifs, éloquence allant par de multiples nuances du parlando à la grande volute lyrique, c’est là un aspect moins fréquenté d’un rôle qui inscrit Lady Macbeth dans la descendance d’une Alcina. Certes, la violence froide de Jennifer Larmore ne se réalise pas dans cette « laideur » que souhaitait Verdi : on se trouve encore, en ce mélodrame, dans un style de transition entre bel canto et drame lyrique. Mais ce caractère est ici admirablement défendu, dans le respect scrupuleux de la moindre des indications de la partition.
Au fil de la représentation, l’interprétation sonore comme visuelle apparaît comme le fruit d’une conception forte, cohérente et homogène. Ainsi, du superbe travail d’orchestre dans son élégance belcantiste, mais aussi dans les éclats vigoureux et la densité que Verdi lui a conférés par son instrumentation tardive, à quoi participe un Orchestre de la Suisse Romande en grande forme. On en dira autant du Chœur du Grand Théâtre de Genève. Si bien réglés soient ils, les deux ballets ajoutés pour Paris et auxquels tenait Verdi n’apportent rien au déroulement dramatique qu’ils viennent interrompre. C’est assez dire à quel point cette production à la fois moderne et fidèle – c’est possible – a pu créer un terrible enchantement.
GC