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Chroniques
Madama Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini
Montrée en mai 2022, la Butterfly de R.B. Schlather est actuellement rejouée par la maison francfortoise qui en a confié la reprise à Aileen Schneider. On a presque envie de rire face au travail du metteur en scène américain qui, prenant appui sur la scénographie de Johannes Leiacker, transpose radicalement le Japon de l’opéra de Puccini dans n’importe quel pays occidental à l’heure actuelle. Quel est son propos ? On ne le comprend pas. Dans quelle villa sommes-nous ? Pourquoi Pinkerton est-il habillé en touriste et Cio-Cio-San en vamp ? Les arêtes froides des fenêtres signifient-elles quelque chose ? Qu’est-ce qui a décidé des costumes décalés de Doey Lüthi et de la lumière crue d’Olaf Winter ? À forcer autant le parti pris de tourner le dos à tout japonisme, les maîtres d’œuvre de ce projet ont atteint un non-kitsch parfaitement kitsch, c’est réussi. Dans ce contexte, les innombrables changements de costumes de la gamine qu’on abuse sont une anecdote de plus pour remplir une soirée qui n’en finit pas. Et dire que Schlather affirme pompeusement, dans les notes d’intentions (brochure de salle), refuser le décoratif : l’ascétisme esthétisant du décor où se joue sa Butterfly est excessivement décoratif, justement ! Suffit-il de renoncer à un kimono pour renouveler la vision que l’on peut porter sur l’ouvrage ? Déplacer une chaise sur un plateau nu pendant deux heures et lui tourner autour s’appelle-t-il mettre en scène ? Non, ça ne marche pas, car sans conception dramatique véritable, rien ne peut marcher. Voilà bien la première fois que je ne suis pas émue en assistant à cet opéra et que le suicide final m’indiffèrent totalement – bravo, ça, c’est nouveau !
Fort heureusement, le plateau vocal est aussi satisfaisant que la production est moche, selon une proportion, comme par miracle, inversée. On applaudit le jeune baryton-basse robustement impacté de Sakhiwe Mkosana en Commissaire impérial, le fringant Andrew Kim en Prince Yamadori et le jeune soprano suédois Karolina Bengtsson, qui fait ce qu’il faut en Kate Pinkerton [lire notre chronique de Francesca da Rimini]. Le rôle de Goro n’est pas délaissé, puisque le timbre cuivré de Michael McCown le met en valeur [lire nos chroniques d’Œdipe et de L’Africaine]. Discret quoique solide, Liviu Holender donne un Sharpless élégant [lire notre chronique de Tristan und Isolde]. Le mezzo-soprano dramatique de Kelsey Lauritano possède une émission et une projection très sûres qui satisfont haut la main en Suzuki. Ces cinq jeunes chanteurs forment l’équipe en résidence à l’Opéra de Francfort.
En lieutenant lubrique et fanfaron, on découvre un ténor, jeune lui aussi, qui promet beaucoup ! Le Mexicain Rodrigo Porras Garulo a bien ce qu’il faut pour ce rôle : l’impact, la couleur, la vaillance et un aigu insolent, tout y est, et même le souffle et le brio. Son interprétation affirme un lyrisme généreux que sert une ligne vocale incroyablement libre. Enfin, celle que l’on tient pour la spécialiste des héroïne de Janáček change ici de rayon : Corinne Winters livre une Butterfly qui décoiffe par la puissance et par la couleur [lire nos chroniques d’Otello, Jenůfa et Káťa Kabanová à Salzbourg, Genève et Lyon]. Avec de tels moyens, il y avait de quoi surpasser la déconfiture de la mise en scène, et pourtant, non, l’émotion n’est pas venue. Ce n’est toutefois pas faute d’une fosse des grands soirs où, avec un grand sens du drame et une musicalité raffinée, l’excellent Pier Giorgio Morandi [lire notre chronique d’Il trovatore] dirige le très bon Frankfurter Opern– und Museumsorchester ! Où trouver l’inspiration lorsqu’on vous installe sur une chaise dans un congélateur ?...
KO