Chroniques

par katy oberlé

Madama Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini

Festival Puccini / Gran Teatro all’aperto, Torre del Lago
- 24 août 2023
à Torre del Lago, Pier Luigi Pizzi met en scène "MADAMA BUTTERFLY" de Puccini...
© lorenzo montanelli

Avant ce deuxième spectacle au Festival Puccini où nous applaudissions hier la Turandot de Daniele Abbado [lire notre chronique de la veille], quelques jours se sont passés qui permirent de s’imprégner tout à fait de l’univers intime du compositeur. La visite de sa villa de Torre del Lago, bien sûr, qu’il fit construire au calme en 1899 et où il écrivit de nombreuses pages – il y aurait commencé Madame Butterfly (1903), puis conçu La rondine (1916) et Suor Angelica (1917) – et de la chapelle où sa dépouille repose depuis bientôt cent ans, mais aussi, à une demi-heure de route, celle de sa maison natale dans la très belle ville de Lucques qui abrite un musée passionnant. De là, s’imposait un bref séjour à Montecatini Terme, également liée à la famille Puccini (mais aussi à Leoncavallo, Verdi, Pirandello et tant d’autres artistes italiens !), de quoi, depuis la charmante Villa Moresca de Montecatini Alto, découvrir Pistoia, si jolie, et retrouver les trésors de Florence et de Sienne, tout proches.

De retour d’un petit périple de quatre journées enchanteresses, la dernière représentation de Madama Butterfly nous accueille au Gran Teatro all’aperto, ce jeudi soir. L’immense scénographe et metteur en scène milanais Pier Luigi Pizzi, auquel on doit tant de productions marquantes [lire nos chroniques de Thaïs, Les pêcheurs de perles, Hans Heiling, Death in Venice, Die tote Stadt, La Gioconda, La pietra del paragone, Il barbiere di Siviglia, Il matrimonio segreto, Ecuba, Violanta, Moïse et Pharaon] et quelques-unes devenues légendaires (Tancredi à Pesaro en 1982, Hippolyte et Aricie à Aix-en-Provence l’année suivante, son Don Carlo viennois en 1989, etc.), signe, à quatre-vingt-treize ans, les costumes, les décors et la mise en scène de cette nouvelle Butterfly toscane ; la conception de la lumière revient à Massimo Gasparon, son fidèle assistant [lire notre chronique de Francesca da Rimini, Norma à Lausanne, Sakùntala, Un giorno di regno et Orfeo]. L’artiste affirme son grand métier, avec une sobriété qui sert habilement l’œuvre. Au plus proche de la musique et du livret, Pizzi n’invoque aucune idole contemporaine pour magnifier un ouvrage qui n’a absolument pas besoin de l’être. Le Japon est là, bien entendu, mais sans accroche appuyée, l’effort étant surtout mis sur la direction d’acteurs, très efficace. Il a recours à une chorégraphie qui double en partie les protagonistes lorsque le soleil se lève sur Nagasaki. Tout converge vers le sacrifice, ici particulièrement violent.

Le casting fait honneur à la partition. On apprécie la Kate élégamment chantée de Loriana Castellano [lire nos chroniques de Pietro il grande et d’Il matrimonio segreto], le majestueux Yamadori d’Italo Proferisce, confortablement sonore, et la basse Seung Pil Choi, certes plus discret quant à la puissance, en Bonzo bien tenu. On est positivement surpris par le Goro clair et pointu d’Enrico Casari, ténor à l’intonation infaillible qui cisèle adroitement son chant, sans jeu caricatural [lire nos chroniques d’Ariadne auf Naxos, Manon Lescaut, I Pagliacci, Le nozze di Figaro, Carmen et Ariodante] et véritablement charmé par l’excellent Sharpless, très musical, de Bruno Taddia : en pleine possession de ses moyens vocaux et techniques, le baryton-basse campe un consul précoce et serein dont le chant s’anime d’une chaleureuse humanité [lire nos chroniques de La Calisto, Il barbiere di Siviglia à Genève puis à Nancy, L’ammalato immaginario, Don Pasquale et Bastarda].

Le trio de tête n’est pas plus mal achalandé. Le mezzo puissant d’Alessandra Volpe réussit parfaitement sa prise du rôle de Suzuki, la voix étant charismatique et le chant toujours rigoureusement conduit, atouts de taille dans l’incarnation d’une servante qui est ici plutôt la meilleure amie de l’héroïne [lire nos chroniques de Norma à Nice et de Don Giovanni]. La souplesse délicieuse du ténor ensoleillé de Luciano Ganci nous vaut un Pinkerton évident, souvent gracieux même, qui ne force pas son aigu [lire nos chroniques de Stiffelio, Giovanna d’Arco, Andrea Chénier et Aida]. Enfin, autre prise de rôle : celle du jeune soprano Carolina López Moreno doté d’un organe dûment cultivé et d’une force évocatrice impressionnante dans la couleur vocale ; sa Cio Cio San émeut et provoque une pluie d’applaudissements !

Si, préparés par Roberto Ardigò, les choristes du festival sont irréprochables, il n’en va pas de même de l’Orchestra Festival Puccini quelque peu à la traîne : maestro Francesco Cilluffo a beau s’escrimer [lire nos chroniques de L’oracolo et de La tempesta], la passion intrinsèque au drame, telle que rêvée par le compositeur, n’arrivera jamais. Dommage…

KO