Chroniques

par françois jestin

Madama Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Montpellier / Corum
- 4 octobre 2019
Reprise à Montpellier de la "Butterfly" signée Ted Huffman à Zurich en 2017
© marc ginot

Madama Butterfly est une valeur sûre du répertoire lyrique qui fait recette, ce qui se confirme au Corum de Montpellier par une salle pleine, ce soir. La production de Ted Huffman, créée fin 2017 à l’Opéra de Zurich, vise au dépouillement mais en s’éloignant de l’esthétique japonisante traditionnellement utilisée pour l’œuvre de Puccini. L’action reste inscrite dans une grande salle blanche prenant toute la largeur du plateau ; on y apporte des meubles, on déroule un tapis, un tableau est posé contre un mur en attente d’accrochage : c’est Pinkerton qui emménage avec Butterfly. Le décor ne change pas durant le spectacle, on translate parfois partiellement la paroi du fond pour les entrées et sorties des personnages, mais point de jardin sur scène, ni de vue sur le port de Nagasaki, et une casetta qui semble décidemment très vaste et malheureusement nettement défavorable à l’acoustique des voix. Le blanc éclatant est aussi peut-être un peu trop présent pendant la soirée. L’attention se concentre alors sur les protagonistes, qui évoluent dans les classiques et magnifiques costumes d’Annemarie Woods.

Il est difficile d’imaginer un couple Butterfly/Pinkerton plus crédible que celui réuni à l’Opéra national de Montpellier, aussi bien du point de vue théâtral que vocal. La Coréenne Karah Son, qui fréquente très régulièrement le rôle de Cio-Cio-San, semble un peu gênée dans l’extrême grave, mais la voix sonne avec une agréable fraîcheur dans le médium et sait aussi s’élargir dans le registre aigu, avec musicalité et un vibrato sous contrôle. Sa prononciation de l’italien est perfectible, mais elle fait passer le drame dans toute la partie finale, ses yeux paraissant de plus de plus embués à partir de l’entrée en scène de l’enfant, tout comme ceux des spectateurs, d’ailleurs. Le ténor américain Jonathan Tetelman en Pinkerton est une révélation : jeune chanteur (trente ans), grand et beau gosse avec ses cheveux gominés, son grain vocal est d’une jolie couleur et le style très soigné, ce qui ne l’empêche pas d’enfler certains aigus sans donner la sensation de forcer. Le duo d’amour en fin de premier acte, Bimba dagli occhi pieni di malia, se termine sur le canapé, après que Pinkerton a tombé la chemise. Sharpless convient idéalement au baryton Armando Noguera, un vrai Consul en costume trois pièces et lunettes cerclées. La voix est saine, expressive et bien projetée, le jeu juste et authentique. La Suzuki de Fleur Barron ne manque pas non plus de projection vocale, puissant et somptueux instrument de mezzo aux graves capiteux. Autre ténor, Sahy Ratia correspond bien au rôle de Goro, davantage ténor de caractère, Daniel Grice est un Bonze autoritaire, tandis que Ronan Nedelec en Prince Yamadori et Christine Craipeau en Kate Pinkerton se montrent moins marquants.

La direction musicale de Matteo Beltrami est une autre excellente surprise. Dès les premières mesures, on entend que le discours musical est solide et vit au gré des changements de dynamiques. L’auditeur peut distinguer à loisir chaque pupitre, les cordes sont caressantes dans les moments les plus élégiaques, comme l’entrée de Butterfly ou encore l’entame du deuxième acte. Le chœur, en petit nombre, est aussi très bien en place, les hommes apparaissant sans un cheveu sur le crâne, comme le Zio Bonzo. La conclusion du drame s’écarte très légèrement du livret, mais fonctionne tout aussi bien : Cio-Cio-San se suicide un peu plus tard qu’à l’ordinaire, c’est d’abord Pinkerton qui entre en criant ses « Butterfly! Butterfly! Butterfly! », puis elle se tue en même temps qu’elle tombe dans ses bras.

FJ