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Chroniques
Mahler et Mozart par l’Orchestre de Paris
Lisa Batiashvili au violon, Robin Ticciati au pupitre
Tandis que le jeune Tarmo Peltokoski joue, en bord de Seine, la Cinquième de Mahler avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’Orchestre de Paris, confié à la baguette de son aîné Robin Ticciati, interprète la même œuvre à la Philharmonie. Aussi sommes-nous deux chroniqueurs de ces colonnes à écouter au même moment deux versions sans doute très différentes [lire notre chronique du jour].
Pour commencer, nous entendons le Concerto en la majeur K.219 de Mozart (1775) entamé dans une féconde souplesse d’inflexion dont le chef britannique cultive habilement la fraîcheur. Sur un Guarneri de 1739, la soliste géorgienne Lisa Batiashvili engage une lecture virevoltante de l’Allegro qui accorde à sa légèreté apparente un sérieux salutaire. On admire, après l’élégance de la brève cadenza, la saine cohésion du final que le cor lance à la lune. Dans une touffeur un rien trop bonhomme, donc assez conventionnelle, l’Adagio se révèle sans heurts, bien que la violoniste développe ici une inventivité sereine, qui joue avec, une fois encore, ce sérieux des enfants, positivement précieux. Derrière des concessions ornementales et galantes, la cadenza s’avère méditative, cette fois. La sûreté de la petite harmonie témoigne de la bonne santé de la phalange lutécienne. Avec le Menuetto, Ticciati s’engage plus, affirmant dès lors un contraste purement musical, jamais dramatique, dont le bal médiant, en bourrasque décoiffante, est le témoin heureux – de ce Türkisches Konzert, le Trio du Menuet sonne avec une tonicité renouvelée.
Cette belle forme de l’Orchestre de Paris se confirme pendant l’exécution de la symphonie mahlérienne. Vigoureux, le prélude affiche une vivacité qui souligne la couleur puissamment tragique de la Trauermarsch. À peine pourra-t-on reprocher quelque emphase à cette introduction qui, toutefois, ne nuit en rien à la cohérence de la lecture. Le thème se déploie dans une ouate pudique. Chaque moment de ce premier mouvement bénéficie d’un soin hautement inspiré. Une fois encore, on apprécie la rigueur précieuse qui caractérise l’extinction du chapitre. Si celui-ci put paraître plus ou moins neutre, le suivant, Stürmisch bewegt, laisse entendre une conception plus précise de Robin Ticciati [lire nos chroniques du 7 janvier 2015, du 19 janvier 2017, des 10 et 11 juillet 2019, du 10 janvier 2020 puis des 20 et 21 juillet 2023, ainsi que des DVD Eugène Onéguine et Der Rosenkavalier], qui en défend sans conteste l’idée. De fait, l’élégance un rien revêche qu’il ménage ensuite au Scherzo n’aura rien d’anecdotique : au contraire, elle semble impérative. Et c’est précisément ce troisième épisode qui finit de convaincre notre écoute, d’abord distante. L’élan est bientôt irrésistible, sans que l’inquiétude jamais ne le quitte. Assurément doloroso mais sans pathos superfétatoire ni pachydermique étirement, l’Adagietto s’impose dans une nuance subtilement menée qui happe l’assemblée ; il est dès lors réceptionné religieusement, pour ainsi dire. Mené avec une superbe indéniable, toujours dans un subtil sens musical, le Rondo-Finale est malgré tout sacrifié aux sirènes du spectacle. Aussi l’exécution de ses ultimes mesures paraît s’ingénier à impressionner, sans plus. Quoique d’honnête facture, la présente lecture, dont la sonorité générale s’affirme plus globalement Mitteleuropa que proprement Viennoise, n’atteint cependant point ses promesses.
BB