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Chroniques
Mahler par Elīna Garanča et Christian Thielemann
Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor
Inaugurée samedi par une nouvelle Tosca que nous découvrirons lors de la soirée de clôture, l’édition 2018 de l’Osterfestspiele Salzburg (Festival de Pâques de Salzbourg) bat son plein pendant une dizaine de jours. Arrivés dans un printemps encore fort incertain, nous abordons l’évènement au seuil du week-end pascal par un concert de la Staatskapelle de Dresde qui lui est associée. Au programme ? La Symphonie en ré mineur n°3 conçue par Gustav Mahler à une cinquantaine de kilomètres d’ici, au bord de l’Attersee, durant les étés 1895 et 1896.
Dès le premier mouvement (Kräftig. Entschieden), c’est l’approche extrêmement leste et déterminée de Christian Thielemann qui surprend. Loin de tout atermoiement sentimental, le patron de la formation saxonne engage une lecture quasiment constructiviste, pour ne point dire machinique. C’est à peine s’il en élargit le motif initial en fin de phrases. On apprécie grandement le muscle des violoncelles, la superbe des cuivres et, plus généralement, la vigueur indicible de l’interprétation. Une nouvelle fois la personnalité bien tranchée de cet orchestre se distingue positivement, avec une sonorité rien qu’à elle, en des temps où se standardisent les caractères – où ils s’appauvrissent, pour le dire autrement. Sans concession, Thielemann mène rondement la symphonie, à la faveur de rebonds plus que revigorants, d’une illusion de chœur dans l’écho des cuivres, d’une hyper-définition des pupitres mariant paradoxalement d’inventifs alliages de timbres. L’extraordinaire dessin des différents plans bénéficie d’une dynamique contrastée mais jamais heurtée – au plus fort de la nuance, chaque trait demeure parfaitement perçu.
Dans une soie presque humide survient le Menuet, idéalement conforme à son indication sehr mäßig, nicht eilen (très mesuré, sans presser). Il arbore cette fascinante fluidité de l’étoffe glissant sous la caresse d’un rai solaire. Le luxe discret mais effectif du relief, comme délicatement ouvragé dans la fibre, favorise une tendresse qui, sans se perdre à s’écouter elle-même, va de soi. Conservant cette lumière précieuse, le Scherzo renoue avec l’urgence des premiers pas. Si drument articulé, le troisième épisode (Comodo) avance comme par miracle. Harpe et cordes graves font osciller les eaux troubles de la minuit. O Mensch!, proclame amplement l’onctueux mezzo-soprano d’Elīna Garanča, suspendu au saveurs fauves et retenues des vents. L’artiste porte très haut le poème de Nietzsche, dans une rondeur d’impact qui conjugue une couleur salutairement claire, main dans la main avec la lecture de Thielemann, d’un ornemental dépouillement.
Avec la joie pure des anges, confiée aux délicates voix du Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor (préparée par Wolfgang Götz), rehaussée par le commentaire somptueux des Damen des Wiener Singvereins (dirigées par Johannes Prinz), dans un geste constant, ici presque boulézien, Christian Thielemann mène un Adagio au grand souffle, à l’amble ferme. Sensible sans larmoiements indignes, évitant les trop hollywoodiennes sirènes du rubato et les pesants surlignages, il conclut dans une limpidité étonnamment latine qui n’exclut pas un lyrisme serein. Voilà qui commence bien ! De fait, les acteurs de cette Troisième de grande tenue sont salués par une standing ovation.
BB