Chroniques

par bertrand bolognesi

Make no noise | Silence
opéra de Miroslav Srnka

Münchner Opernfestspiele / Pavillon 21, Munich
- 2 juillet 2011
Bertrand Bolognesi photographie le Pavillon 21 derrière l'Opéra de Munich
© bertrand bolognesi

À partir de The secret life of words, film d’Isabel Coixet, le jeune compositeur tchèque Miroslav Srnka, dont nous avions pu apprécier l’écriture personnelle [lire notre chronique du 28 novembre 2008] et qui déjà s’était inspiré de la production de la Catalane, a imaginé un opéra de chambre (une douzaine d’instrumentistes) d’environ une heure et demie dont il a confié l’écriture du livret au dramaturge australien Tom Holloway, un livret de langue anglaise qu’on pourra dire minimaliste optant pour la plus grande concision, avec des répliques fulgurantes, toujours essentielles, une structure en quatre scènes marquantes.

Tout commence dans une usine (The Factory) où une employée, Hanna, sourde et morose, rencontre des difficultés d’intégration avec ses camarades, bien qu’irréprochable soit son travail. Un collègue gêné par sa présence attire son regard sur une annonce, dans l’espoir qu’Hanna quitte son poste. De fait, le patron survient pour lui annoncer qu’il la congédie. Nous suivons donc la jeune femme sur une plate-forme pétrolière (The Oilrig) qui l’engage comme infirmière. Le nouveau poste n’est pas des plus simple : un incendie eut lieu tout récemment, incendie dans lequel a péri un ouvrier italien dont le bruit court qu’il s’est volontairement jeté dans les flammes, ne pouvant faire front à une trahison conjugale qui impliquait le blessé grave dont Hanna a précisément la charge, Joseph. Si Martin, le chercheur tourmenté, confirme les on-dit, l’obstination sadique de Simon, le cuisinier, à ne servir que des menus italiens à Joseph, le suggère cruellement.

Pourtant, au fil de soins les plus triviaux qu’il est nécessaire de prodiguer à un malade aveugle et dont les innombrables plaies interdisent tout mouvement, Hanna va peu à peu se rapprocher de Joseph ; au point, lorsqu’il est presque guéri et que sa mission est achevée, de lui confier sa propre histoire : elle a été violée par plusieurs soldats avinés qui lui firent subir certains sévices corporels. Après cet aveu, elle entre dans un centre de thérapie (The Institut) afin de dépasser son traumatisme. Là se passe donc la troisième scène. Durant ce travail sur elle, Joseph entreprend des recherches pour la retrouver, et, finalement, le médecin l’autorise à la voir. La représentation se conclut dans la quiétude inespérée d’un chez-soi (At home) qui symbolise la reconstruction des deux êtres dans l’amour qui les porte.

Une nouvelle fois la grande sensibilité de Miroslav Skrna se déploie dans cette œuvre dense qui recourt à l’électronique dans ses évocations des différents paysages sonores des lieux de l’intrigue, mais aussi des handicaps des protagonistes – la surdité d’Hanna, son audiophone, et la brutale solitude parmi les autres ; la cécité de Joseph, et donc sa dépendanced’autres yeux, la nécessité de leur faire confiance, etc. Il a précisément choisi l’expression de chacun, de la brutalité de phonation d’Hanna et de sa gestique fonctionnelle redoutablement efficace à la douceur abandonnée du phrasé de Joseph dont l’inertie corporelle semble vouloir se mouvoir à travers les volutes du chant. Le traitement des autres rôles, moins développés, obéit à la logique des emblèmes, pourrait-on dire, avec un ténor belliqueux pour l’Ouvrier et Simon, une basse emphatique pour le Patron et Martin, enfin l’alto chaleureux de ces timbres qu’on aime à entendre au téléphone (Inge).

Pour cette création donnée au Pavillon 21 [photo], remonté chaque été pour le Münchner Opernfestspiele qui y programme le répertoire d’aujourd’hui, la Bayerische Staatsoper a fait appel au metteur en scène australien Matthew Lutton qui signe un travail concentré, dynamique et volontiers percutant, en parfaite symbiose avec la partition en laquelle il sait faire confiance, partant que l’anime la vie intérieure difficile d’Hanna et Joseph. Le plateau vocal s’avère en tout point satisfaisant. Okka von der Damerau y est une Inge confortable d’indifférence. Grâce à un grain vocal opulent qui paraît s’entendre parler, Tareq Nazmi un chercheur (Martin) et un patron parfaitement pontifiants. De même Kevin Conners campe-t-il Simon et l’Ouvrier avec toute la violence requise. Les amoureux bénéficient des prestations remarquables d’Holger Falk, baryton à la voix souple et attachante (Joseph), et de Laura Tatulescu, soprano dont surprend l’autorité de l’impact, parfois envahissante, à juste titre. Tous se montrent résolument engagés dans des personnages qui gagnent un crédit que, d’habitude, on ne rencontre qu’au théâtre.

Outre d’avoir su créer de véritable incarnations vocales, la partition de Miroslav Srnka explore des volubilités orchestrales aux fuselés parfois ligétiens, invente des climats fort diversifiés, réalise des contrastes au développement parfois infiltrant, minéral, sans oublier des stations où se frottent des sonorités plus directement spectrales. Son second opéra – le premier, Wall, fut créé à Berlin il y a six ans – s’achève dans le dépouillement des deux voix principales, dans une paix que vient à peine indiquer un léger halo électronique. À la tête de l’excellent Ensemble Modern – saluons tout particulièrement ses vents et Joseph Carver à la contrebasse –, Christopher Ward mène adroitement la danse.

BB