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Chroniques
Manon Lescaut
opéra de Giacomo Puccini
Il est des ouvrages tombés dans l'oubli, réfugiés dans les limbes du théâtre lyrique, dont des reprises salutaires autant que téméraires permettent de découvrir les merveilles et réhabilitent les oublis fâcheux. Il en est d'autres dont l'exhumation montre, malgré toute la bonne volonté du monde, ô combien se peut comprendre cette disgrâce, s'explique, se justifie, même, surtout quand le compositeur a, par ailleurs, écrit des œuvres autrement séduisantes et intéressantes. À peu de temps près, l'Opéra national de Lyon vient d'illustrer les deux cas. Avec l'éblouissant Quartier des cerises de Chostakovitch, le premier ; avec la Manon Lescaut de Puccini, le second – hélas !
En sortant de la représentation, le mélomane se prend à regarder sa montre et à constater que l'œuvre du signor Puccini est finalement plutôt courte, alors qu'elle lui sembla interminablement longue, à commencer par un finale où l'héroïne n'en fini pas de mourir de soif… ce qui n'altère en rien son abondante allocution. La responsabilité en revient sans doute, d'abord, à un livret décousu, enchaînant des épisodes hétérogènes. Il est vrai qu'ils se mirent à cinq pour tripatouiller l'infortuné texte du pauvre abbé Prévost, sans parler de l'éditeur et même du compositeur qui également y allèrent de leurs coups de plume – un compositeur ailleurs mieux inspiré que dans cette partition des débuts de son abondante production, aux mélodies courtes, aux ensembles éphémères sommairement brossés, aux chœurs banaux, aux enchaînements abrupts… Certain intermezzo – seule partie passée un tant soit peu à la postérité – est certes bienvenu, mais il y a tout le reste !
On l'imagine aisément : mettre en scène cette (lointaine) épure de Tosca tient de la gageure que le metteur en scène Lluís Pasqual est loin de tenir. Le matériau, décoratif autant que ferroviaire, imaginé par Paco Azorín, mal mis en valeur par les éclairages chiches de Pascal Merat et les costumes plutôt laids de Franca Squarciapino, ne manque pourtant pas d'originalité, de force et de continuité, lui. Dans un cadre et une ambiance résolument « années folles », il fait évoluer les divers tableaux – sauf l'un qui se déroule dans un studio de cinéma des temps héroïques du muet – dans une gare de province et ses compartiments, un dépôt du littoral et ses wagons, enfin une voie de chemin de fer en cul de sac, en plein désert. Au centre de cet atout, le travail scénique est sommaire, imprécis, comme inachevé.
Côté interprétation, la fosse offre indéniablement une plus grande homogénéité que la scène où le bon côtoie le nettement moins bon. Pour le premier, on peut évoquer le Lescaut solide, musical, juste, à la voix bien timbrée de Lionel Lhote, voire le Géronte d'Alexander Teliga. Dans le second, les deux héros de l'affaire se disputent la palme : Svatla Vassileva (Manon) a pour elle son physique (même sous la perruque poudrée), son émission généreuse, mais contre elle des aigus durs et secs, un vibrato indiscret, son timbre métallique. Même s'il entend développer un style brillant très vériste, le Des Grieux de Misha Didyk ne possède pas la puissance et la musicalité requises.
En revanche, les Chœurs maison sont, comme souvent, superbes, tout comme l'Orchestre, alors que Kazushi Ono – gestes précis, soucis du détail, soin de la construction sonore – apparaît bien plus à l'aise dans le vérisme italien façon Puccini que dans l'opéra-romance français made in Massenet. On ne peut qu'attendre une Tosca ou une Turandot sous son altière baguette.
GC