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Chroniques
Marek Janowski dirige le Rundfunksinfonieorchester Berlin
Richard Strauss | eine Alpensinfonie Op.64
Créé en 1946, le Septembre musical de Montreux prit, il y a quelques années, une orientation qui le suspendit malencontreusement. Aujourd'hui, le metteur en scène Tobias Richter, à qui est désormais confiée la direction artistique du festival suisse, le fait renaître avec sa première programmation. Outre que l'idée de diriger un festival lui vint à Spoleto, il y a longtemps, il s'inspira de ce grand rendez-vous imaginé dans les années cinquante par Menotti en lui associant aujourd'hui un plasticien.
« À Spoleto, il y avait toujours un peintre, un sculpteur dont la présence s'exprimait par une exposition ou une commande particulière pour l'affiche du festival, si ce n'est simplement par le fait qu'il venait vivre là le temps de la manifestation. Ce n'était d'ailleurs pas exclusivement un festival de musique et d'opéra : une grande diversité de tous les arts (théâtre, danse, etc.) occasionnait des rencontres véritablement exaltantes pour le public. Pour Montreux, j'ai souhaité qu'une œuvre de Robert Longo – peintre de renommée internationale, né à Brooklyn en 1953, bien connu pour ses dessins gigantesques au fusain [ndr] – illustre notre affiche, un fusain qui montre une silhouette féminine où l'on verrait aussi bien une dame chic venue au concert et une Diva qui s'y produirait ».
Ce qui frappa l'homme de théâtre et professeur d'art lyrique en élaborant son projet à Montreux, c'est l'infrastructure extraordinaire que proposent les lieux. « C'est un cadeau de disposer de telles salles, partant qu'il ne s'agit pas d'aménagements, mais qu'elles sont naturelles et acoustiquement parfaites ! Le charme du Château de Chillon, l'élégance de la Salle del Castillo, le fort beau Théâtre de Vevey et le prestigieux Auditorium Stravinsky, inauguré par Solti en 1993, sont des lieux permettant la réalisation de nombreux rêves ». Pourtant, la tâche n’est pas si simple. Il faut aujourd'hui regagner le public – « C'est une nécessité absolue de faire venir les jeunes au concert et de ne pas se contenter uniquement d'un public de dignitaires » – et tisser de nouveaux liens avec des artistes régulièrement invités, jusqu'à ce qu'ils inventent d'eux-mêmes des programmes pour le Septembre musical, qu'ils s'impliquent dans sa dramaturgie. Le but avoué est de créer une famille d'artiste pour l’avenir. Avec une équipe relativement restreinte et mise à sa disposition uniquement pendant le festival, Tobias Richter a incontestablement beaucoup à faire, ce qui, pour le moment, exclut de concevoir ici une mise en scène d'opéra. « À Düsseldorf [maison qu'il dirige en saison, ndr], sept cent personnes travaillent avec moi. Ce n'est évidemment pas le cas ici. La réalisation d'une mise en scène demande énormément d'énergie. Aussi convient-il de choisir où, quand, comment et dans quel souci de qualité l'on s'investit. À Montreux, la priorité serait plutôt de concevoir une sorte de mise en scène du festival ».
Soucieux d'utiliser les forces vives de la région comme de satisfaire le plus large public, Tobias Richter s'est penché sur la solide tradition du chant qui anime le pays depuis toujours. La Fête des Vignerons, qui a lieu tous les vingt-cinq ans, réunit un vaste mouvement choral où sont données des musiques rares. « Une tradition populaire qui perdure ! C'est pourquoi j'ai travaillé à la fondation d'un chœur du festival, plutôt que d'un orchestre qui ne resterait sans doute pas dans les mémoires, créant également une plateforme pour les formations chorales du pays. De la même manière, il y a beaucoup de pianistes sur cette Riviera : il paraîtra donc naturel que le Concours Clara Haskil continue d'y avoir lieu tous les deux ans – un privilège que l'on doit à mes prédécesseurs qui parvinrent à le déplacer de Lucerne à Montreux ».
Ouvert le 24 août par le premier récital d'une série intitulée Découvertes qui permet d'entendre des jeunes instrumentistes encouragés par l'Académie de Verbier, le Septembre musical, après avoir accueilli Grigori Sokolov, Il ritorno di Ulisse in Patria (production de Düsseldorf) et proposé un cycle de musique chorale, se poursuit avec ce concert du Rundfunksinfonieorchester Berlin dans un programme entièrement consacré à Richard Strauss. Pour commencer, dans une lumière tamisée, six instrumentistes concentrent l'écoute sur le prélude de Capriccio, magnifiquement porté par l'excellente acoustique de l'Auditorium Stravinsky – une définition si fidèle du son qu'elle parvient à elle seule à convaincre de s'y produire certains artistes exigeants. Dans un élan lyrique entretenu dans la nature du son, sans aléas métriques qui risqueraient une surenchère fatale – au contraire, le résultat revêt une urgence à la fois fraîche et discrètement inquiète –, l'interprétation de cette page brille d’un sain équilibre. L'articulation est élégante, sans ostentation, Marek Janowski terminant sa lecture par un léger céder, sans ralentir vraiment, qui vient à peine souligner le caractère aphoristique du sextuor.
Toutefois, ce n'est certes pas par la couleur que le chef se distingue dans son exécution des Vier letzte Lieder, mais bien plutôt par la manière alerte avec laquelle il s'y engage, révélant le moindre détail d'écriture plus que de timbre. En revanche, Annette Dasch connaîtra quelques difficultés. Si le haut-médium et l'aigu s'avèrent flatteurs, et bien qu'elle sache parfaitement nuancer son chant, la voix reste confidentielle dans Frühling. September fait ensuite s’interroger sur le format vocal requis par cette œuvre pour passer au-dessus d'un tel orchestre. Plus à l'aise dans Beim Schlafengehen, le soprano affirme une souplesse revenue qui lui permet d'interpréter le texte sans penser exclusivement à « passer la rampe ». Pourtant, elle ne parviendra pas à soutenir Im Abendrot.
Dans le réveil de la montagne, l'Alpensinfonie Op.64 pose des dangers et des mystères que Marek Janowski distille avec une stabilité stupéfiante, lui ménageant un départ contrasté puis une verve enthousiaste qui ne craint pas les dissonances lorsqu'elles soutiennent l'expressivité – on est dans la proximité des opéras, de Die Frau ohne Schatten et même de Salomé. Les soli sont soignés et la lecture, grâce à une grande énergie paysagiste, s'impose dans une haute tenue, affirmant une vision d'ensemble cohérente où le chef dessine idéalement l'architecture de cette page aisément sculptée dans la masse orchestrale. De la formation berlinoise, saluons particulièrement une petite harmonie littéralement prodigieuse.
BB