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Chroniques
Maria Stuarda | Marie Stuart
opéra de Gaetano Donizetti
Sur les soixante-et-onze opéras que Gaetano Donizetti a composés, seuls Lucia di Lamermoor, L’elisir d’amore, La fille du régiment et La favorite sont régulièrement donnés en France. C’est donc avec une certaine impatience que cette Maria Stuarda était attendue par un public friand d’affrontements belcantistes. Après une version de concert avec Ruth-Ann Swenson et Iano Tamar en 2007, le Théâtre des Champs-Élysées reprend le flambeau avec une mise en scène que signe le duo Patrice Caurier et Moshe Leiser, habitués du lieu. Le second volet de la « trilogie des reines anglaises » du compositeur bergamasque est ici coproduit avec Londres, Barcelone et Varsovie.
L’œuvre fut maudite dès sa création à Naples, en 1834. La censure napolitaine qui supporta mal le dialogo delle due Regine à la fin de l’Acte II où Marie dit à Élisabeth : « Fille impure de Boleyn, prostituée indigne et lascive, le trône anglais est profané par ta présence, vile bâtarde » et encore moins l’exécution finale de la reine d’Écosse – par les hasards insensés de l’histoire, elle n’était rien moins que l’aïeule de la souveraine locale ! – interdit l’opéra dès le lendemain de la générale. Mais la malédiction ne s’arrêta pas là : cette générale fut particulièrement houleuse, lors de cette même scène des altercations violentes se produisirent entre les deux prime donne, rivales dans la vie, ce qui provoqua un pugilat entre les aficionados des deux camps. Donizetti tenta de remonter son ouvrage en modifiant complètement le livret, sous le nom de Buondelmonte. Ce fut encore un échec cuisant. Le compositeur espéra le succès en le remaniant pour Maria Malibran, qui en assura la création à la Scala, l’année suivante. La malchance était toujours au rendez-vous. La Diva, connue pour ses provocations et ses caprices, flirta avec les interdits et, souffrante, défigura la partition. Une fois de plus, ce fut un four. La censure milanaise fit elle aussi interdire l’opéra. Pour échapper à ce destin calamiteux, Donizetti essaya de donner sa Maria Stuarda à Londres avec, de nouveau, la Malibran… mais cette dernière mourut subitement avant la générale ! L’opéra tomba dans l’oubli jusqu’en 1958 où il fut enfin redonné à Bergame, ville natale de son auteur. Depuis, les plus grandes divas s’en sont emparées et l’ont fait apprécier, au rang desquelles Leyla Gencer et Shirley Verrett pour ne citer qu’elles.
La Polonaise Aleksandra Kurzak, dont ce sont les débuts à Paris, est la reine d’Écosse. L’épouse de Roberto Alagna nous convainc par une belle voix bien projetée et capable de vocalises et suraigus faciles, avec un vrai talent de comédienne qui sait charmer et émouvoir. Carmen Giannattasio, qui elle aussi débute dans la capitale, compose une Élisabeth d'une autorité cruelle et d'une puissance vocale hors du commun. Sa voix électrise un public surexcité par l'affrontement des deux protagonistes. Francesco Demuro, qu’on a pu voir en Alfredo (La traviata) l’an dernier à Bastille, se défend mieux en Leicester. Il en a la prestance et l'abattage belcantistes. On n’en dira pas autant de Carlo Colombara, malheureusement en méforme vocale. En revanche, Christian Helmer est excellent en Cecil, tout comme Sophie Pondjiclis, vibrante et émouvante Anna qu'on a toujours plaisir à retrouver dans les productions du TCE. L’Orchestre de Chambre de Paris et les Chœurs du Théâtre des Champs-Élysées défendent une partition dirigée de main de maître par Daniele Callegari qui surprend par des tempi parfois trop rapides.
Reste la production de Caurier et Leiser, décevante et agaçante.
Le duo a décidé de situer le drame élisabéthain de nos jours, avec les tics à la mode : décors minimalistes laids, abus de projections vidéo (avec une soirée diapo dans la prison), costumes sans intérêt et sinistres stores en guise de rideau de scène, censés marquer l'isolement de la Stuarda. Les reines sont fagotées en costumes d'époque. D’abord déguisée en Susanna des Nozze, Maria revêt ensuite une robe bleue imprimée de noir, de pacotille. Élisabeth est affublée d'une robe à panier ridicule et pesante qui embarrasse la chanteuse, grimée comme la reine vierge. Comme un politique d’aujourd’hui, elle harangue la foule d’une tribune « logotée » de la couronne royale britannique et parée de deux microphones. Virago hystérique, elle déshabille Leicester, prête à le violer. Au dernier acte, enfin, le bourreau qui au début tranchait la tête d'une victime, est omniprésent et maltraite la malheureuse Maria. Un travail peu convaincant, hué à juste titre par un public qui fait néanmoins une ovation méritée aux chanteurs et musiciens, vrais triomphateurs de cette soirée.
MS