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Chroniques
Maria Stuarda | Marie Stuart
opéra de Gaetano Donizetti
Après avoir donné, la saison dernière, le premier volet Anna Bolena [lire notre chronique du 22 octobre 2021], le Grand Théâtre de Genève poursuit, en cette fin d’année, sa Trilogie Tudor de Donizetti. Comme annoncé avant le début de l’entreprise, le projet est confié à la même équipe artistique, bien qu’à l’exception notable, cette fois, du chef d’orchestre, Andrea Sanguineti remplaçant désormais Stefano Montanari, précédemment au pupitre.
Les tableaux successifs se déroulent à nouveau dans les décors élégants de Julia Hansen, toujours en charge également des costumes, principalement une vaste et noble salle aux tons bleutés. Mais c’est un espace très végétal qu’on amène au centre du plateau, avec pelouses, petits modelés et plusieurs arbres qui constituent une forêt, pour l’entrée en scène de l’héroïne. Certaines idées et images vues au premier épisode sont reprises, confirmant Elizabeth comme la figure centrale de la production du cycle. On y voit les deux personnages muets ajoutés de reine en petite fille et de sa version bien plus âgée.
La charge sexuelle est, une fois de plus, présente dans la mise en scène de Mariame Clément [lire nos chroniques de Rigoletto, Platée, La bohème, Hänsel und Gretel, Castor et Pollux, Les pigeons d’argile, Poliuto, Armida, Il ritorno d'Ulisse in patria, La Calisto, Don Quichotte, Cendrillon et Il barbiere di Siviglia], plutôt décalée pendant le premier duo entre Elisabetta et Roberto, quand celui-ci, pendant qu’il lui décrit les charmes de Maria Stuarda, la déshabille, la caresse et qu’ils s’enlacent sur la table. Les deux remettent d’ailleurs le couvert au second acte, alors que l’amant demande à la reine d’épargner la vie de la souveraine écossaise, tout en lui caressant le sexe. D’autres petites touches d’originalité ou de modernité sont énigmatiques – pas, toutefois, la première image de Maria déjà la tête sur le billot, pendant l’Ouverture, déjà vue dans d’autres mises en scène. En revanche, on pourra chercher la signification du téléphone sur la table en avant-scène (Elizabeth II à sa table de travail ?) ou encore des deux cameramen qui filment l’action finale (des images d’archive pour l’Histoire ?).
Les costumes contribuent à la curiosité, d’abord Elisabetta en habits serrés et dorés, parfois cuirassés, plutôt éloignés de l’imagerie traditionnelle des reines Tudor, coiffure rousse plaquée en arrière évoquant, au choix, David Bowie ou Régine. Sa cousine au deuxième degré porte un manteau en tartan dont l’allure de plaid ne contribue guère à valoriser le statut royal, qu’elle troque pour une cape noire sur robe blanche dans le tableau de son exécution, faisant alors penser irrésistiblement à Iphigénie ou Norma.
Défendant le rôle-titre, Stéphanie d’Oustrac inquiète dans la cavatine d’entrée Oh, nube! Che lieve per l’aria ti aggiri : le chant est franc et plein, les moyens substantiels, mais l’intonation reste approximative et le style passablement éloigné du répertoire belcantiste. Ses apparitions ultérieures sont heureusement meilleures, l’actrice s’investissant dans le drame, notamment dans la confrontation avec Elisabetta en fin de premier acte (Figlia impura di Bolena…) puis sa montée vers l’échafaud où elle chante avec ses tripes. En Elisabetta Elsa Dreisig fait valoir sa voix ample de soprano, facile dans les aigus et homogène en qualité sur toute l’étendue de la tessiture, avec des graves bien exprimés. L’autorité du personnage passe bien et les variations des reprises d’arie sont bienvenues, tout comme celle de sa consœur. Beaucoup moins sollicitée dans le rôle d’Anna, la nourrice de l’Écossaise, la jeune Ena Pongrac déploie un instrument sain et séduisant, de couleur charmante.
Côté masculin, le ténor Edgardo Rocha (Roberto, comte de Leicester) apparaît en bonne forme et compense un volume modéré par l’élégance d’une ligne de chant soignée, les aigus concentrés faisant mouche. Les voix graves de la basse Nicola Ulivieri (Talbot) et du baryton Simone Del Savio (Lord Cecil) sont également bien en place, puissante projection pour le premier et noirceur du timbre pour le second, bien à propos. Préparé par Alan Woodbridge, le Chœur du Grand Théâtre de Genève apporte, quant à lui, ses contributions de qualité.
L’Orchestre de la Suisse Romande fait un sans-faute technique, mis à part un cor de temps à autre capricieux… L’ensemble est placé sous la baguette d’Andrea Sanguineti qui opte, par endroits, pour des tempi inhabituellement lents. Ceci est vrai dès un passage de l’Ouverture, ou encore dans la cabalette d’Elisabetta, solution de facilité pour la soliste mais qui dénature quelque peu le morceau. L’utilisation inhabituelle du pianoforte, déjà en place pour Anna Bolena et vraisemblablement voulu par le chef et violoniste Stefano Montanaro qui vient du monde baroque, a été reconduite pour le présent ouvrage. On entend donc parfois de petites notes, soit seules, soit en accompagnement d’un léguer tissu orchestral, procédé un peu anecdotique. C’est l’adjectif qui convient aussi à quelques choix de l’illustration visuelle, si l’on pense, par exemple, aux pas chorégraphiés par Mathieu Guilhaumon que doivent effectuer choristes et solistes en chantant – un pas en avant, un en arrière, sur le côté, etc., ou encore le ténor qui se hisse sur la pointe des pieds à chaque émission d’un aigu ; cela ne dure pas trop… heureusement !
IF