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Chroniques
Masaaki Suzuki dirige le Bach Collegium Japan
Cantates BWV 120, BWV 29 et BWV 30
Deuxième concert comportant des cantates de Bach, à l'occasion du quarante-cinquième Festival de La Chaise-Dieu. Après la très politique BWV 214, Tönet, ihr Pauken offerte par Vàclav Luks et son Collegium 1704, ce sont en quelque sorte trois chants de louange du cantor que propose le Bach Collegium Japan de Masaaki Suzuki, à l'occasion de sa première exhibition en France, hors Paris. Deux de ces cantates, Gott, man lobet dich in der Stille et Wir danken dir, Gott BWV 120 s'attachent, derrière leurs titres évocateurs, la rutilance de trois trompettes. Pour être circonstancielle (l'élection annuelle du conseil municipal de Leipzig), la jubilation des partitions réfute pourtant toute enfilade factice, offrant des sections fortement différenciées, voire recueillies.
De la seconde pièce, BWV 29, c'est toutefois la fulgurante sinfonia initiale, avec solo d'orgue, qui est l'élément le plus spectaculaire. Cette longue page, aussi virtuose qu'éloquente, est un remploi habile, à l'instrument roi, du Prélude de la Partita pour violon seul BWV 1006. Cela en dit long sur l'adaptabilité, et aussi l'opportunisme d'un Bach soumis, ni plus ni moins qu'un autre, aux impératifs de production de son temps. Gott, man lobet dich dispose elle aussi de l’autocitation, cette fois d'une Sonate pour violon et clavecin, au cours de l'air de soprano Heil und Segen faisant suite au monumental (et tonitruant) chœur. Ce dernier est évincé de la vigie liminaire par la virtuosité délicate d'un air d'alto.
Sans trompettes cette fois, l'ample et bipartite BWV 30 annonce la couleur en ouvrant le concert sous le label Freue dich, incipit d'un chœur d'entrée musclé à l'allégresse impérieuse, repris d'ailleurs en guise de clôture, sous des paroles légèrement modifiées. Pas moins de deux airs pour basse la parcourent, mais c'est surtout le lumineux sautillement de Kommt, ihr angefochtnen Sünder, pour alto avec obbligato de flûte, régulièrement enregistré, qui vaut à cette cantate une juste célébrité.
Au risque de paraître artificiellement festif, le choix d'un tel triptyque de lumière est d'autant plus pertinent pour une première apparition dans un festival de grand renom que l'un des atouts maîtres de Suzuki (dans son intégrale discographique en cours chez BIS) est une plasticité, une liberté de respiration idéalement en phase avec l'annonce de la bonne nouvelle. Les parties chorales du Bach Collegium Japan, en particulier, s'avèrent d'une flexibilité fabuleuse (BWV 30, justement)... D'autant plus méritant que le chef, shooté à l'action de grâce, se laisse parfois aller à des dynamiques fort peu dosées : la BWV 120 assène ainsi volontiers des contours martiaux outrés, peu indulgents de surcroît envers la précision (et la justesse) des fameuses trompettes.
Les instrumentistes ne le cèdent en rien aux choristes, leurs interventions, tant obligées (flûte, violon) que concertante (orgue), surtout, révélant des individualités de grand talent ; en plus, au global, d'un jeu collectif huilé, sans la moindre raideur. Ceci à rebours de commentaires désolants, encore entendus et lus ici, selon lesquels leur qualité de Japonais ne leur offrirait « que leur technique, aux dépens de toute souplesse » (!). Des chanteurs, dont aucun en revanche n'est nippon, on ne saurait faire tel éloge, tant leur bilan est inégal.
Rachel Nicolls revendique une technique sûre, mais son soprano assez ingrat et son uniformité de ton contredisent, au moins partiellement, les délices que promettent ses mots. Gerd Türk dispose, lui, d'un timbre enviable ; cependant, son phrasé précautionneux, voire inhibé, dément là encore les libations annoncées. De Peter Kooij, qu'on entend toujours avec joie dans un répertoire qu'il exalte avec bonheur depuis si longtemps, les ans ont passablement émoussé un métal désormais moins lustré, et surtout moins solide. Le baryton-basse néerlandais donne malgré tout le change, par sa capacité à nuancer des textes pourtant bien univoques. C'est finalement Robin Blaze, contre-ténor racé, qui tire le quatuor vers le haut, en dépit d'un sensible manque d'endurance : matériau plaisant, vocalisation impeccable et une sorte de british touch délicieuse, offrant une pointe de recul mutin, vis-à-vis d'une liesse communicative, mais si prévisible.
Masaaki Suzuki quant à lui – hors les périlleuses vapeurs d'adrénaline précitées – ne se départit jamais, en ces réjouissances, du goût du détail ni de la rigueur tout organistique d'un digne élève de Ton Koopman. En même temps, il semble s'en amuser : à raison, du reste, tant le génie de Bach ne se limite sûrement pas à une resucée obsessionnelle du Golgotha.
Divertissant et idéalement festivalier.
JD