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Chroniques
master class Barbara Hannigan
Invité l’été dernier à Lucerne dans le cadre de la tournée des Berliner Philharmoniker, le soprano canadien Barbara Hannigan, surtout connue dans le répertoire contemporain, est mis en avant par l’édition 2014 du festival à travers cinq master classes de chant et plusieurs concerts [lire notre chronique de l’avant-veille]. En introduction du premier cours, durant les deux heures et demie duquel nous entendrons trois des neufs étudiantes réunies, Barbara Hannigan présente une partie de sa pensée et de ses idées musicales, apportant en une trentaine de minutes plus d’éléments qu’en fournirent de nombreuses interviews. Devant neuf apprenties chanteuses et une trentaine d’auditeurs, elle développe son point de vue sur l’art et la musique – « en ayant pris des notes mais en essayant de ne pas les utiliser, et en privilégiant les questions », dit-elle. Pour commencer, elle cite un extrait d’Art objects (Essays on ecstasy and effrontery) de la romancière britannique Jeanette Winterson, justifiant la position de l’artiste authentique (« a true artist »). Puis elle explique son parcours. « Un artiste authentique, cite-t-elle,connaît le passé mais ne le copie pas » ; et d’ajouter personnellement « un artiste doit apprendre du passé, mais ne jamais chercher à le reproduire ». On aimerait alors qu’elle se positionne face à la démarche « baroqueuse », surtout lorsqu’elle précise ensuite préparer Donna Anna pour La Monnaie (Bruxelles) alors qu’elle avait refusé ce rôle à vingt-trois ans lorsque Marc Minkowski le lui proposait.
« Le véritable artiste n’est pas intéressé par l’objet et sa finalité, mais par le processus artistique. […] Il vient après le problème, il n’essaie pas de le résoudre. Il doit être connecté au passé, au monde physique et encourager la technologie ». Elle poursuit par « I love this quote, I’m not looking for end games » (j’aime cette citation, je ne recherche pas quelque chose de définitif). Sa démarche artistique est donc alors comprise. Aussi claire est sa démarche interprétative : « la tradition n’est pas une bonne chose. La tradition, c’est la façon dont vous devez jouer une pièce, par rapport à l’habitude qu’on a de l’entendre », mais « la musique est écrite sur la partition, pas dans l’esprit de quelques gardiens. C’est pourquoi on n’entend jamais un compositeur dire ‘’je ne veux pas que vous jouiez comme c’est écrit, mais je veux que vous jouiez comme l’autre l’a joué avant vous.’’ C’est inimaginable ! Je n’aime pas être déjà morte ! »
En fin de présentation, elle « focuse » sur certains moments de sa vie qui nous en apprennent sur son évolution intellectuelle grâce à une précision qu’elle ne met jamais dans son CV : en quatrième année d’université, Barbara Hannigan a passé un an en Angleterre où, à plusieurs reprises, on lui demanda pourquoi elle s’intéressait à l’opéra classique alors qu’elle était spécialisée dans le contemporain. De cette expérience elle apprit beaucoup sur elle-même, ses objectifs et le fait qu’un artiste est rapidement rangé dans une case.
Le cours commence : « made what is on this page, that’s the job ! » (faites ce qui est sur cette page, le travail c’est ça). Une première étudiante s’attelle à un extrait d’Erwartung Op.17 d’Arnold Schönberg (1909), chanté d’abord d’un trait avant d’être repris phrase par phrase par Hannigan avec de nombreux conseils de souffle, de prononciation, et surtout quant à la forme adéquate de la bouche pour attaquer les mots et lancer certains aigus. Plutôt que de l’ouvrir vers le bas, il faut le faire vers le haut, à la façon d’un bec de canard, afin de limiter considérablement le vibrato. L’étudiante indique certaines difficultés rencontrées dans la maîtrise de son instrument : à son âge, la voix évolue beaucoup et la puissance est parfois difficile à contrôler, tout comme l’émission de certaines notes peut s’avérer facile un jour et impossible le lendemain. De fait, le maître avoue avoir connu des difficultés l’an dernier avec les aigus des Drei Wozzeck-Fragmente d’Alban Berg.
La deuxième intervention montre toute la différence entre une jeune chanteuse et une autre plus expérimentée. Die Nachtigall, troisième des Sieben frühe Lieder (1905-1908) de Berg, sert d’exercice. L’étudiante magnifie un passage dont Barbara Hannigan relève la couleur et la tenue, et fait déjà preuve d’une superbe technique sans pourtant parvenir à passer la note qui suit. C’est là que parle l’expérience : à cours d’explication, Hannigan chante elle-même vingt secondes du Lied et révèle comment réussir ce saut.
Enfin, Parades, huitième mélodie du cycle Les Illuminations Op.18 de Benjamin Britten (1939), sur le recueil de Rimbaud, fait entendre une troisième chanteuse, tant en péril avec la partition qu’avec le texte français. S’ensuit une longue discussion sur la difficulté de notre langue et des liaisons qu’elle induit (Hannigan donne quelques bonnes adresses de préparatrices spécialisées). La partie la plus difficile semble être « Des yeux hébétés […] rouges et noirs » sur laquelle le maître précise que doit s’effectuer la liaison entre « rouges » et « et » : prononcer ʁuʒezɛnwaʁ, et non ʁuʒɛnwaʁ [rouge(s)-et], modifie la respiration et les appuis toniques. Elle oublie toutefois une autre liaison poétiquement viable sur « des yeux-hébétés » : chanter dɛjøzɛbɛtɛ rend en effet plus hommage au lyrisme rimbaldien que dɛjø-ɛbɛtɛ [yeu(x)-hébétés]. Sans inviter à l’imitation d’un artiste d’hier, remarquons tout de même qu’il y a cinquante ans Peter Pears faisait les deux liaisons.
Intensive, cette première leçon nous apprend beaucoup sur le travail indispensable à la préparation de chaque interprétation, tant dans l’approche d’une partition que dans la maîtrise de la technique qu’elle requiert, mais encore sur l’artiste et sa qualité d’enseignante.
VG