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Chroniques
master class Teresa Berganza
interpréter Così fan tutte
Lové dans une boucle de la Seine, le village de Bougival fut un lieu d’élection pour les artistes. Monet, Berthe Morisot, Pissarro, Sisley, Renoir puis Vlaminck y sont venus peindre sur le motif. Mais en bord de fleuve, on voit aussi la maison où Georges Bizet a composé Carmen et où il est mort. Non loin s’était établie, à la campagne d’alors, la grande Pauline Viardot, rejointe par son ami Ivan Tourgueniev qui y fit édifier sa datcha. Les plus grands artistes de l’époque furent des familiers de la villa. Mais si un petit musée Tourgueniev perpétue aujourd’hui la mémoire de l’écrivain, la villa de Pauline Viardot se délabrait peu à peu et menaçait ruine. La décision vient d’être enfin prise de la restaurer pour y accueillir des manifestations musicales à l’échelle européenne.
À l’initiative de Jorge Chaminé et de Bénita Carteron, une association des Amis de Georges Bizet s’est constituée en 2000 sous la présidence de Jean Lacouture. Teresa Berganza en est devenue la présidente d’honneur. L’association mène de front plusieurs objectifs qu’elle s’est fixée, dont l’organisation d’un remarquable Festival de Bougival et des Coteaux de Seine. Homme de culture, chanteur et pédagogue de grande réputation, Jorge Chaminé en assure la direction artistique. Cette année la manifestation proposait quatre concerts de musique de chambre et un spectacle chorégraphique sur Carmen et L’Arlésienne, de belle qualité, ainsi que des classes de maître données par Teresa Berganza, cinq après-midi, suivis d’un concert chanté par les heureux stagiaires.
Pour la cinquième fois, donc, l’illustre maestra revenait à la ViIla Viardot pour y faire travailler Così fan tutte, cette année, après Carmen, Don Giovanni et Le nozze di Figaro. Une douzaine de stagiaires étaient réunis, sélectionnés par Jorge Chaminé, orfèvre en la matière – un grand cru. Fort bien secondée au piano par Aline Bartissol, Teresa Berganza obtient de tous une concentration extrême. Son exigence se manifeste dans l’énergie rayonnante qu’elle met à montrer, expliquer, faire sentir et comprendre. Il est frappant de la voir écouter intensément un jeune artiste sans l’interrompre, détecter aussitôt le point important sur lequel il lui faut le faire travailler, et obtenir si rapidement un résultat spectaculaire. Les auditeurs présents n’en reviennent pas !
Avec le sourire, toujours, elle ne laissera rien passer d’essentiel : apprentissage de la rigueur. Le travail s’effectue sur le cantabile, la respiration et le phrasé, l’émission du son, bien sûr, mais aussi sur le respect du texte musical et l’importance des mots, c'est-à-dire de la dramaturgie. Tout cela est nourri d’années et d’années d’expérience et de réflexion de celle qui fut la légendaire Dorabella d’Aix-en-Provence en 1957, aux côtés de l’autre Teresa, Stich-Randall, en Fiordiligi, sous la direction de Hans Rosbaud. Les jeunes stagiaires le savent, qui lui vouent à la fois admiration et reconnaissance pour le don qu’elle leur fait d’elle-même dans une permanente générosité.
Classes de maître, sans doute. Leçons d’art lyrique, mais avant tout leçons de musique, leçons de vie.
GC