Chroniques

par laurent bergnach

Mathis der Maler | Mathis le peintre
opéra de Paul Hindemith

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 19 novembre 2010
Olivier Py met en scène Mathis der Maler d'Hindemith à l'Opéra Bastille
© charles duprat | opéra national de paris

Dans l’ultime entretien accordé quelques heures avant sa mort, évoquant le petit nombre d’hommes qui ont fait l’Histoire, Pier Paolo Pasolini a cette parole : « Le refus a toujours constitué un geste essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels ». Si l’auteur d’ I Turcs tal Friúl n’évoque pas le « non » de l’artiste, c’est sans doute que ce dernier, partisan ou adversaire des révolutions sociales, s’en trouve constamment la dupe, tel Matthias Grünewald (1475-1528), témoin des nouvelles injustices apportées par la Guerre des paysans allemands, en pleine Réforme, ou Paul Hindemith (1895-1963), confronté à la naissance d’un régime qui lui ferait payer par l’exil le prix du « bolchévisme culturel ».

Réticent à mettre en scène un peintre, le compositeur néglige tout d’abord la proposition de son éditeur, faite en septembre 1932, d’un parallèle avec leur époque. Un an plus tard, Hitler devient chancelier du Reich et démet de leurs fonctions les musiciens juifs. Dès lors, Hindemith ne peut que s’interroger sur l’engagement politique de ces créateurs qui évoluent d’ordinaire sur des voies parallèles. Il se met à écrire le livret, lequel connaît de nombreuses évolutions entre août 1933 et juin 1935, date de sa publication définitive. Ses œuvres de « bruiteur atonal » mises à l’index en octobre 1936, c’est à Zurich, le 28 mai 1938, que sont créés les sept tableaux de Mathis der Maler.

Cet ouvrage « né de l’histoire et de l’imagination » – dixit Hindemith –, Olivier Py l’aborde en homme de théâtre chevronné, jouissant d’une débauche de décors – dont une chambre des coffres, subtilement désignée dans la sphère catholique, et un espace aux allures de stade, évocateur de tant de dictatures. Dans sa vision, XVIe et XXe siècles cohabitent, ainsi que dans l’esprit du peintre les visages du passé (incarnant les tentations du sixième tableau) avec ceux des créations en jachère. Tout est justifié, et, mis à part la scène de conversion d’Albrecht qui pèche par sa longueur originale, l’ennui n’a pas sa place ici.

On s’étonnera toujours de l’engouement que provoque Matthias Goerne. Si le baryton a pour lui de défendre le répertoire récent (Berg, Henze, Reimann, Strauss), comment passer sous silence un chant inégal – tantôt mou, tantôt forcé –, monochrome et sans ciselure ? Tout chez lui sent l’effort, même s’il peut soudain se montrer lumineux, comme à l’extrême fin, lorsque la fosse murmure. En revanche, miroir du rôle-titre, Albrecht von Brandenburg trouve en Scott McAllister un interprète tout de richesse, rondeur et chaleur, teinté de délicatesse à mesure que sa foi évolue.

Certains de leurs partenaires sont particulièrement efficaces : les ténors Michael Weinius (Schwalb) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Capito) s’avèrent brillants et vaillants, tandis que les basses Thorsten Grümbel (Pommersfelden) et Gregory Reinhart (Riedinger) ont pour eux l’un sa couleur, l’autre sa sonorité. Martina Welschenbach (Regina) déçoit par son timbre métallique, à l’inverse du chant caressant, corsé et nuancé de Melanie Diener (Ursula), plus puissant qu’il ne paraît tout d’abord, et de celui de Nadine Weissmann (Gräfin von Helfenstein), onctueux et expressif.

À la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, régulièrement salué par le public au retour des entractes, Christoph Eschenbach offre une lecture claire et droite de l’œuvre, non exempte de sensualité – les cordes sont moelleuses, les cuivres doux. Quant à lui, le Chœur profite des tensions entre communautés religieuses pour montrer sa vivacité et son dynamisme.

LB