Chroniques

par jérémie szpirglas

Matthäus Passion BWV 244
la vision presque catholique de Benoît Haller

Abbaye de Royaumont
- 2 octobre 2009
© colmar, musée d'unterlinden

Comme les interprétations évoluent ! C’est particulièrement saisissant chez Bach, et notamment dans une œuvre aussi monumentale, aussi quintessentielle, que sa Passion selon Saint-Matthieu : puissante, fleuve, et si variée dans les trésors qu’elle offre. Bref, géniale. En réécouter les divers enregistrements réserve bien des surprises, des plus anciennes (et quel dommage qu’on ne puisse pas entendre ce que Mendelssohn en fit) aux premières tentatives des baroqueux (comme celle d’Harnoncourt, en 1970) et jusqu’aux plus récentes : l’extraordinaire version de Leonhardt avec la Petit Bande (1990) ou celle d’Herreweghe (1998), où les tempos tragiques et majestueux n’ont d’égal que la perfection des chœurs.

À présent, la nouvelle génération s’en empare avec la même appréhension, le même respect et le même soin que leurs aînés – c’est un monument, on ne s’y frotte pas impunément. Dégagés de l’angoisse minutieuse d’une authenticité chimérique et inatteignable, elle prend toutefois plus de liberté, sans jamais dénaturer le discours.

Pour leur part, Benoît Haller et sa Chapelle Rhénane [lire notre chronique du 30 août 2008 sur la Passion selon Saint Jean par la même équipe] reviennent au texte – non pas à la partition, mais, encore en amont, à l’Evangile elle-même et à sa lettre –, considérant moins l’œuvre musicale que la tragédie mise en musique. En mettant ainsi l’accent sur la rhétorique, Benoît Haller délaisse délibérément l’austérité habituellement associée à la liturgie luthérienne pour une emphase pleine d’effets, une vision presque catholique, qui affecte les dynamiques aussi bien que l’agogique.

Si certains phrasés flirtent occasionnellement avec le précieux, voire le maniérisme (comme le solo de viole de gambe dans l’aria de basse Komm, süsses Kreuz, so will ich sagen), et si certains tempos peuvent étonner par leur ardeur et leur rapidité (Benoît Haller a même surpris ses propres musiciens dans le chœur d’ouverture), le résultat est non seulement cohérent mais exceptionnellement émouvant, servi, en outre, par une excellente équipe de jeunes chanteurs.

Julian Prégardien, bien qu’indisposé ce soir-là, est un Evangéliste plus que convaincant, dévoilant un véritable talent pour la narration. Benoît Arnould, baryton doux et chaud, incarne un Jésus jeune, discrètement tourmenté et généreux. Les autres récitatifs et airs sont interprétés tour à tour par les différents membres du chœur. Parmi eux, de très belles découvertes, dont certaines sortent tout droit d’un atelier de formation, en résidence à Royaumont et dirigé par Benoît Haller et Tanya Aspelmeier.

On citera notamment la soprano Hélène Fauchère (un brin surpuissante mais dotée d’un timbre argenté admirable), l’alto Pascal Bertin qui, avec le violon solo Guillaume Humbrecht, passe avec succès la rude épreuve de l’Erbarme Dich, et, last but not least, la toute jeune et néanmoins suisse Chiara Skerath, qui tire les larmes à plus d’un auditeur dans l’Aus Liebe, Aus Liebe will mein Heiland sterben, grâce à des phrasés d’une sobriété et d’une pudeur exemplaires, soutenus avec une simplicité lumineuse par l’ostinato douloureux des deux hautbois de Margot Humbert et Johanne Maître et le contrechant merveilleux du traverso de Jean-Pierre Pinet.

JS