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Chroniques
Maurizio Pollini et Andris Nelsons
Brahms et Chopin par le Lucerne Festival Orchestra
Comme le Mahler Chamber Orchestra qui jouera demain, le Lucerne Festival Orchestra, dernière formation créée par Claudio Abbado, est devenu suffisamment autonome pour exister, avec ou sans lui, même si une page s’est tournée après la disparition du chef italien en janvier. Il reste cependant constitué des exceptionnels musiciens qu’on lui connaissait depuis de nombreuses années, à commencer par les premiers violons Gregory Ahss (Camerata Salzburg) et Sebastian Breuninger (Gewandhausorchester).
D’abord entièrement consacré à Brahms, le programme de ce concert est modifié. La Troisième de l’Hambourgeois est toujours là, mais son Concerto pour piano Op.15 n°1 est remplacé par le Concerto en mi mineur Op.11 n°1 de Fryderyk Chopin, créé en 1830 à Varsovie. L’introduction montre avec quelle douceur Andris Nelsons approche l’œuvre, tant dans la légèreté du phrasé que par le faible volume sonore. Le développement du premier thème se fait sans attaque brusque ni même franche aux cordes, avant que le basson intervienne impeccablement, secondé avec naturel par la flûte. Les trois mouvements sont abordés de manière identique, par une phalange idéale de clarté et de volupté, aux soli toujours parfaitement exécutés. Le chef letton surprend à l’Allegro maestoso où il semble avoir pour l’occasion modifié sa direction, car en plus de s’être adouci depuis quelques mois et d’être très loin du qualificatif d’ « électrique » que certains lui donnent encore, il intègre une profondeur particulière à chaque mesure, comme ce printemps dans le troisième acte de Parsifal ici-même [lire notre chronique du 12 avril 2014]. La gestuelle a beaucoup évolué, moins massive et moins prononcée qu’il y a seulement une année ; il arrive à Nelsons de ne plus bouger pendant plusieurs secondes, laissant les musiciens avancer d’eux-mêmes.
Limité dans la dextérité, Maurizio Pollini ne l’est jamais dans l’émotion. Heureusement, très peu d’approximations font réellement surface. Si le premier mouvement passe sans problème, surtout lorsque le pianiste s’attaque aux motifs les plus connus, une certaine fatigue apparaît ensuite. De vrais écarts se font sentir au Rondo, sans altérer la puissance du discours mais en obligeant l’accompagnement à s’adapter. Malgré ces détails, la salle se lève toute entière pour saluer l’artiste qui trouvera même la force d’offrir une magique Ballade Op.23 n°1 (Chopin) – un bis de près de dix minutes.
La Symphonie en fa majeur Op.90 n°3 de Johannes Brahms confirme notre perception de l’orchestre. Andris Nelsons engage la même douceur dans cette page, avec mélancolie, cette fois, surtout dans le Poco allegretto dont le célèbre thème, tant entendu, paraît habité d’une réflexion nostalgique au parfum slave qui rappelle qu’à l’époque de la composition Brahms était grand ami de Dvořák. Aucune attaque franche ne vient modifier l’interprétation des trois premiers mouvements, à l’encontre de ce qu’apprécieraient certains dans l'œuvre de l'Allemand, au risque de créer une deuxième moitié d’Andante assez monochrome, tant elle est introvertie. Dans son « Brahms allégé » (pour ainsi dire), le Letton ne supprime pas les silences et n’abuse pas du legato, tout en gardant un délié manifeste. Regagnant en dynamique, le finale Allegro fait entendre la qualité particulière des instrumentistes et laisse le public silencieux près d’une minute après la dernière note.
VG