Chroniques

par bertrand bolognesi

Messe en si mineur de Johann Sebastian Bach
Genia Kühmeier, Elisabeth Kulman, Pavol Breslik, Günther Groißböck

Chœur et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan
Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 14 février 2017
L'Orchestre de l'Opéra national de Paris au grand complet
© opéra national de paris | elena bauer

Belle ambition que celle de Philippe Jordan de mettre en œuvre dans l’exécution de l’H-Moll-Messe BWV 232 les progrès acquis par le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris grâce à l’approche de Moses und Aaron et des Gurrelieder, la saison dernière [lire nos chroniques du 20 octobre 2015 et du 19 avril 2016]. Dans une note d’intention, le chef indique inscrire sa démarche dans un regard plus vaste sur l’héritage commun aux baroquistes comme à tout musicien – « nous avons tous travaillé Bach, écrit-il, qui reste notre pain quotidien » (brochure de salle). Les qualités révélées chez les instrumentistes et les choristes de la maison lors des projets schönbergiens se cultiveront plus précisément encore avec ce grand programme hétéroclite qu’est la Messe en si mineur, précise-t-il, ce qui sera mis à profit dans la suite de la saison.

L’idée se tient, indéniablement. Le résultat, quant à lui, convainc nettement moins, avouons-le d’emblée. Sans attendre en rien les sonorités anciennes qui si bien servent cet opus [lire notre chronique du 4 mai 2016], il demeure une curiositéde retrouver ce soir le gigantisme et le lustre noir et blanc des galettes d’après-guerre. Pourquoi pas ? Après tout, c’est ainsi que plusieurs générations de mélomanes entendirent la musique de Bach, dans cette aura postromantique qui alourdissait de même l’interprétation des oratorii d’Händel. Le souci n’est pas tant là que dans la réalisation elle-même, entravée par on ne sait quel mauvais génie.

Après un départ en grande pompe, comme il se doit, le chœur semble anémié dans un Kyrie exsangue. De fait, c’est bien le traitement choral qui pose le plus problème : les forces en sont approximativement maîtrisées et bien des passages accusent des incertitudes de justesse qui bariolent maladroitement le concert. À plusieurs reprises on peut envisager une question d’acoustique : en haut de scène, le chœur sonnerait peut-être trop, propulsé vers l’avant par la conque boisée au point d’assourdir l’écoute mutuelle – entre choristes, des musiciens eux-mêmes, enfin des quatre solistes qui paraissent mal à l’aise, fragiles parfois, presque apeurés.

L’affiche montre de grandes voix, qu’on apprécie beaucoup. Pourtant, elles n’y suffiront pas. Est-ce le placement du chef, non aligné à celui des solistes, qui brouille leur regard, empêche de se repérer ? On ne sait pas. Toujours est-il que chaque intervention, hormis l’Agnus Dei fort serein, est habitée d’un danger permanent. Interrompre la messe par un entracte n’est pas non plus ce que de mieux imaginé : alors que les efforts commençaient enfin à s’équilibrer durant le Gloria, il faut remettre la machine en route pour le Credo qui ne fonctionne pas du tout, heurté, presque agressif, disgracieux. De cette tentative, les musiciens tirent leur épingle du jeu – eux seuls. La majeure partie du public de la Saint-Valentin n’en a cure : applaudissements et hourras fusent comme jamais, parce qu’une soirée d’amoureux à l’opéra, c’est quelque chose. Les bouquets les plus chargés ne sont pas forcément les plus fervents, croyons-nous…

BB