Chroniques

par david verdier

Michel Plasson et les musiciens de l’Opéra
Hector Berlioz, Maurice Ravel et Albert Roussel

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 25 avril 2012
Michel Plasson dirige Berlioz, Ravel et Roussel
© ck miura

Trois ans après un Werther d'anthologie, Michel Plasson revient au pupitre de Bastille pour un concert symphonique, cette fois-ci, dans un programme exclusivement dédié à la musique française. De toute évidence, le lien intime et amical qui unit chef et musiciens fonctionne et produit son effet. Entre démarche discrète et baise main au premier violon, le ton est vite donné. En ouverture, les Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel, orchestrées très peu de temps après leur première version pour piano. Ici, rien de forcé ni de trop accentué ; le modèle viennois semble déjà loin et nous parvient tel un écho noyé dans la couleur. Ces sept formes variées autour d'un même principe dodelinent tendrement un ternaire génial et dilettante.

La direction de Michel Plasson est en parfaite adéquation avec une partition dissimulant ses faux-fuyants sous une esthétique bon chic bon genre. Elle saisit au vol ces amalgames de timbres tantôt doucereux ou aigres-doux. Il en résulte un mouvement général d'une nostalgie fanée qu'on pourrait parfois confondre avec de la mélancolie, sans ce penchant irrépressible pour les teintes orchestrales. Sous la conduite harmonique, un art d'aquarelliste, en somme, fasciné par la capillarité du support et la diffusion de la couleur d'un pupitre à l'autre. Cette suite de valses ne commence et ne finit pour ainsi dire jamais, elle ne cesse de proliférer, dégageant çà et là le célèbre motif que Ravel isolera dans une pièce éponyme.

Après la rotation prismatique, la première partie trouve une conclusion logique dans la Seconde Suite de Bacchus et Ariane d'Albert Roussel. Nous ne quittons pas pour autant l'atmosphère de ballet, même si la postérité n'a guère retenu celui de Serge Lifar, donné par ce même Orchestre de l'Opéra national de Paris en 1931 avec les décors, magnifiques, de Giorgio de Chirico. La fort belle et rare musique de Roussel déploie des chatoiements effrénés, faussement illustratifs. Cette allégorie dansée s'apparente davantage à un rêve en mouvement plutôt qu'à un strict poème symphonique. Les « épisodes » s'enchaînent sans le recours nécessaire à un argument détaillé qui en scinderait l'équilibre par la nécessité de la parabole mythologique. Le flux seul imprime sa marque mémorielle dont le secret est de ne pas subir une battue trop contrastée qui risquerait de la compromettre en la contraignant.

Les deux interventions solistes (alto et violon solo) sont d'une langueur magnifique, l'ensemble progressant irrésistiblement vers l'agitation vigoureuse des bois. La précision vertueuse du piccolo dispute à la clarinette la gloire d'une petite harmonie en état de grâce. On ferme volontiers les yeux sur les nombreuses coupures dans le final (les mêmes coupures que pratiquait Charles Munch en son temps), l'ensemble porte haut le génie musical de Roussel – approche musicale si sensible et distinguée que l'on souhaiterait entendre plus souvent.

En seconde partie, la très attendue (et entendue) Symphonie fantastique d’Hector Berlioz n'apporte pas toute la satisfaction qu'on pouvait en attendre. Le reproche en incombe à de trop grandes approximations et de périlleux enchaînements dont le salut ne tient souvent qu'à l'excellent niveau des pupitres de l'orchestre. Il en résulte un Berlioz sans excès ni tonitruances, comme si la vision coloriste de la première partie débordait imprudemment. Le bal avance avec retenue, sans l'énergie nécessaire qui ferait oublier la fausse nonchalance des longues phrases qui s'abandonnent. La Scène aux champs trouve un allant et une rugosité de bon aloi qui manquaient tant au premier mouvement. À aucun moment La marche au supplice ou Songe d'une nuit de Sabbat n'obtiennent le degré de tension nécessaire qui emporte l'adhésion. La danse ne révèle rien de vénéneux dans ses dissonances interlopes et ses tressautements démoniaques. Si les cloches font davantage penser à Montsalvat qu'à Walpurgis, les transformations du Dies Irae sont, elles, très sulpiciennes – on n'oserait dire jansénistes… Il y a là une conception trop polie et trop sage d'une musique « française » qui s'interdit de fait toute brutalité et toute méchanceté.

Donné en bis, l'Adagio extrait de L’Arlésienne de Georges Bizet est dédié au trompettiste Maurice André, récemment disparu et figure importante pour Michel Plasson, notamment durant les trente ans passés à la tête de l'Orchestre national du Capitole de Toulouse.

DV