Chroniques

par irma foletti

Michele Carafa | Masaniello ou Le pêcheur napolitain
drame historique en quatre actes (version de concert)

Mert Süngü, Nathanaël Tavernier, Catherine Trottmann, etc.
Rossini in Wildbad / Trinkhalle, Bad Wildbad
- 26 juillet 2024
Au festival Rossini in Wildbad, recréation en concert de "Masaniello" de Carafa
© dr

Deuxième opéra français au programme de Rossini in Wildbad, après Le comte Ory [lire notre chronique de la veille], Masaniello de Michele Carafa (1787-1872) est une complète redécouverte. Créée le 27 décembre 1827 en salle Feydeau (Théâtre royal de l’Opéra Comique, Paris), puis publiée l’année suivante au Passage des panoramas, l’œuvre, écrite sur un livret d’Ange-Martial Lafortelle et Charles-François-Jean-Baptiste Moreau de Commagny, fut assez régulièrement jouée jusque dans les années 1880, avant de disparaître complètement des affiches. Et pourtant, au bilan de cette représentation de concert, la partition est riche de beautés dont il est heureux de constater que les nombreux micros placés au plus près des chanteurs et musiciens devraient conserver un témoignage audio.

Un bémol, toutefois, à ce concert, déjà évoqué dans ces colonnes et lié à la configuration de la Trinkhalle et à son absence de fosse : le déséquilibre flagrant entre un orchestre qui sonne souvent à plein et des chanteurs qui, placés sur la scène surélevée, ont bien du mal, solistes et choristes compris, à passer ce que par moments il faut appeler un véritable mur du son. Le chef du soir, Nicola Pascoli, n’est pas en cause. Il se démène pour faire briller ces pages musicales, en particulier les scènes de foule. Même si l’ouvrage est intitulé drame historique en quatre actes, on entend dès après l’Ouverture un certain caractère d’opéra-comique, avec la présence de dialogues parlés. Le cor solo y déploie sa mélodie sur arrière-plan de pizzicati, puis c’est une musique plutôt enjouée qui arrive aux oreilles, pouvant rappeler, par exemple, les Ouvertures de la trilogie Tudor de Donizetti. On retrouve les musiciens de l’Orkiestra symfoniczna filharmonii im. Szymanowskiego w Krakowie (Orchestre symphonique de la Philharmonie Szymanowski de Cracovie), bien en phase avec les indications de tempi et de nuances demandées par le chef.

Quatre rôles de premier plan sont distribués dans cet opus, reprenant les quatre tessitures habituellement entendues à l’opéra. Mert Süngü prend celui de Masaniello, le pêcheur napolitain à la tête de la révolte contre l’augmentation des taxes – un sujet d’actualité ! –, qui sera assassiné après avoir perdu la raison. Le ténor fait une bonne impression globale, au travers d’un médium assez large et d’aigus qui brillent d’un peu de métal., mais il rencontre de curieux petits passages à vide où le volume devient trop confidentiel ; ses dialogues ne sonnent par ailleurs pas toujours très français.

Aucun problème, en revanche, pour la qualité des dialogues de Catherine Trottmann dans le rôle de son épouse Léona, en tessiture de soprano : l’artiste a donc évolué depuis ses précédentes années en tant que mezzo. La voix est longue dans son grand air du deuxième acte, Ah ! mon ami, que ces pensées, et la technique s’avère maîtrisée, entre trilles, traits d’agilité et registre aigu serein. Autre chanteur français, la basse Nathanaël Tavernier dans le rôle de Ruffino, Génois « insidieux et intrigant », énonce de splendides dialogues qui seraient dignes des salles de théâtre les plus réputées. Son chant d’ampleur survole le plus souvent sans problème un orchestre qui joue sans déchaînement. Autre rôle d’importance, celui du Comte de Torellas, interprété par Luis Magallanes, qui cumule avec celui de Calatravio, l’intraitable percepteur d’impôts (« …à la fraude insolente, point de grâce aujourd’hui… »). Le ténor vénézuélien projette sa voix avec un son suffisamment concentré dans la partie haute du registre, mais il a du mal à se faire entendre en-dessous, sans parler d’un français parlé assez exotique. Camilla Carol Farias fait bonne impression en Théresia, la sœur de Masaniello, par sa voix musicale, agréable, et des dialogues corrects. Cumulant le gouverneur de Naples, puis Giacomo, Francesco Bossi bute plus d’une fois sur la lecture du texte ; dommage, car le baryton est très bien en place. Les deux ténors Juan José Medina (Matteo, frère de Masaniello) et Massimo Frigato (Pedro, puis un montreur de marionnettes) complètent avantageusement, d’un format plus léger pour le premier. Les choristes polonais amènent aussi leur valeureuse participation.

Il faut remercier le festival allemand d’avoir entrepris ce courageux projet et l’on peut espérer que l’enregistrement à venir rééquilibre les forces musicales et vocales.

IF