Chroniques

par isabelle stibbe

Mignon
opéra d’Ambroise Thomas

Opéra Comique, Paris
- 10 avril 2010
Elisabeth Carecchio photographie Mignon (Thomas) à l'Opéra Comique (Paris)
© elisabeth carecchio

Œuvre chevillée au corps de l'Opéra Comique où elle fut créée en 1866 et causa son incendie de 1887, Mignon fut jouée des milliers de fois avant de tomber en désuétude dans les années cinquante. Comme pour beaucoup d'autres du répertoire français, cette partition a mauvaise presse aujourd'hui : on souligne à l'envi l'invraisemblance du livret (bien qu'inspiré par le roman de Goethe, Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister), la faiblesse de l'orchestration, l'académisme d'Ambroise Thomas (1811-1896), etc.

Pourtant, cette nouvelle production est la preuve que Mignon peut encore toucher. Non pas par un « dépoussiérage » qui transposerait la mise en scène pour rendre l'œuvre plus moderne, mais par la qualité des interprètes et la bonne facture des propositions artistiques. Quand bien même ne croirait-on plus une seconde au livret, quand bien même ne serait-on pas féru de musique française, restent les sentiments humains qu’exprime la partition et dont on se rendra compte qu’ainsi interprétés ils savent toujours provoquer l'émotion.

Pour sa mise en scène, Jean-Louis Benoit a choisi de situer Mignon dans une ambiance fin XVIIIe siècle. Costumes de l'époque de Goethe et lumières placées dans un contre-jour pictural créent une atmosphère aux réminiscences strehlériennes. Ajoutés à une bonne utilisation de l'espace, notamment pour les chœurs, et à une direction d'acteurs judicieuse, tous les ingrédients sont réunis pour une production efficace.

À la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, François-Xavier Roth a choisi, quant à lui, de disposer la fosse de l'orchestre à l'ancienne : les musiciens sont tournés vers le plateau au lieu de la salle, de manière à retrouver, comme en musique de chambre, une connivence entre chanteurs et musiciens. Soit. Le chef lui-même se trouvant face au public, ce qui permet aux spectateurs d'observer chacune de ses expressions, on pouvait craindre qu'il s'éloignât du plateau. Par bonheur, ce n'est pas le cas. Bien au contraire ! Toujours à l'écoute des chanteurs, Roth impulse une direction fine, précise, parfois jubilatoire, et toujours d'une grande maestria.

Du côté de la distribution, on regrette que le rôle de Wilhelm Meister ait été confié à un Espagnol, Ismael Jordi, dont l'accent extrêmement prononcé tranche trop avec la bonne diction des autres chanteurs. On n'apprécie pas plus sa voix souvent raide, en force et tendue dans les aigus. On n'est pas non plus friand de Malia BendiMerad (Philine) à qui l’on reconnaîtra une voix facile mais dont le son flûté et sans chair rappelle une façon de chanter datée.

Les seconds rôles sont de meilleure tenue, du Laërte débonnaire de Christophe Mortagne au Lothario imposant de Nicolas Cavallier, malgré un Frédérick (Blandine Staskiewicz) surjoué et surarticulé. Rien à redire, en revanche, de Marie Lenormand qui, avec son petit visage de moineau triste, compose une Mignon très touchante aux allures d'Oliver Twist. Sans disposer d'une voix très puissante, le mezzo fait mouche grâce à une grande musicalité et une implication qui contribue largement au succès de la représentation. Une jeune chanteuse à suivre.

IS