Chroniques

par irma foletti

Mignon
opéra d’Ambroise Thomas

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 1er avril 2022
À Liège, Vincent Broussard met en scène "Mignon", opéra d'Ambroise Thomas
© opw-liège | j. berger

Mignon, qui fit le triomphe d’Ambroise Thomas dans les années qui suivirent sa création (1866), est de nos jours une œuvre dont la séduction opère moins immédiatement sur le public [lire nos chroniques du 11 novembre 2005 et du 10 avril 2010]. Son traitement visuel est donc de première importance. La nouvelle production de Vincent Boussard [lire nos chroniques de Le nozze di Figaro, Les pêcheurs de perles, Hamlet, Otello et I puritani], montée pour l’Opéra royal de Wallonie, n’a malheureusement que peu convaincus. C’est, une fois encore, le théâtre dans le théâtre qui forme le concept général, mais avec des dispositions qui d’emblée posent problème. Le plateau est divisé en deux parties, un praticable qui descend vers l’avant-scène, tandis qu’à l’arrière d’un voile sont disposées des chaises en contrebas, devant un fond de décor montrant l’intérieur d’un théâtre. C’est dans cette sorte de petite fosse que sont relégués les choristes qui, dès leur première intervention, accusent plusieurs décalages avec l’orchestre, distance et difficulté de visibilité ne favorisant décidemment pas une bonne coordination.

Les protagonistes demeurent constamment dans le jeu théâtral, au risque de passer à côté de l’émotion vraie de l’opéra d’Ambroise Thomas. Le rôle secondaire de Frédéric, tenu par Geoffrey Degives, est traité, à traits épais, de manière bouffe, si bien qu’avec les quelques acclamations bruyantes du vrai-faux public du fond, on a le sentiment que certaines séquences du premier acte basculeraient volontiers vers Offenbach. Le suivant fonctionne mieux, plus intimiste avec Philine qui répète son air, seule au clavecin, puis badine avec Wilhelm Meister pendant que Mignon se morfond, recroquevillée dans son fauteuil. Mais on se pince un peu plus tard en entendant Laërte, droit dans ses bottes bien serrées l’une contre l’autre, répéter plusieurs fois Heil myself ! Trait d’humour ou référence cinématographique du metteur en scène ? Toujours est-il que les rires sont loin de fuser dans la salle... Retour à plus de raison par la suite, mais sans grand contraste ni charme, quand Lothario chante les yeux plongés dans sa partition ou que de vagues dessins en noir et blanc doivent illustrer la luxuriante Italie du dernier acte, dans le palais censément riche des Cipriani, ici sans aucun mobilier ni accessoire. Il est aussi à noter que le dénouement peut prêter à confusion : c’est Mignon qui meurt, puis la fin heureuse est accolée immédiatement derrière, produisant le curieux effet d’un personnage rapidement ressuscité.

Les oreilles sont bien plus à la fête, avec la direction musicale attentive et équilibrée de Frédéric Chaslin [lire notre chronique du 12 novembre 2019], aux commandes de l’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie-Liège auquel se sont joints plusieurs jeunes musiciens du Conservatoire royal de Liège. Les premières mesures, légères et vaporeuses à la flûte et la harpe, illustrent avec bonheur la poésie de la pièce, l’entrain gagnant ensuite avec les pupitres de cordes, jamais pris en défaut par la vivacité et la virtuosité de la partition. Les sentiments sont portés par la musique, avec certains rythmes originaux – par exemple, celui plutôt rapide de l’air de Wilhelm Meister, Adieu, Mignon, courage, évitant ainsi un caractère trop larmoyant.

Fréquentant ces dernières années Carmen ou Charlotte, Stéphanie d’Oustrac dispose aujourd’hui de moyens vocaux évidemment plus larges que ceux requis par le rôle-titre. Cela s’entend dès son entrée en scène, Mignon au caractère bien trempé qui refuse de chanter, en s’exprimant avec une forte projection vocale. Mais l’interprète sait aussi alléger l’instrument, en particulier pour son air le plus attendu, Connais-tu le pays où fleurit l’oranger, conduit avec goût sur un long souffle. Wilhelm est attribué à Philippe Talbot, ténor délicat de timbre et de ligne vocale, tout en assurant une remarquable qualité de prononciation du texte. Mais c’est sans conteste le soprano belge Jodie Devos qui décroche, en Philine, les applaudissements les plus vifs, évidemment pour son grand air pyrotechnique du II, Je suis Titania la blonde, une merveille de chant précis, coloré, agile, expressif, mais aussi pour sa constante crédibilité dans ce personnage de grande dame coquette et volage. En Lothario, la basse Jean Teitgen laisse admirer, une fois de plus, ses graves profonds qui lui confèrent une suprême autorité, tandis que l’autre ténor, Jérémy Duffau, complète dans le rôle plus épisodique de Laërte.

IF