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Chroniques
Mimi, scènes de la vie de bohème
opéra de Frédéric Verrières, librement inspiré de « La bohème » de Puccini
À l’origine de Mimi présenté aux Bouffes du nord cet automne, trois protagonistes ayant déjà officié ensemble au même endroit pour The second woman (2011), faisant dire à certains que les coupables reviennent toujours sur le lieu du crime, quand d’autres y défendront le rendu global ou la démarche créatrice, à défaut d’y trouver un fort intérêt musicale.
Initié par le compositeur Frédéric Verrières, le concept est de retravailler le matériau de La bohème, l’opéra de Puccini imaginé à partir du roman naturaliste d’Henri Murger, Scènes de la vie de bohème, sans rompre le fil avec l’œuvre originale mais à travers une « partition elle-même profondément modifiée, au point de donner par moment l’impression d’avoir disparu ». Cela fonctionne dans les dix premières minutes, avec un travail rigoureux de variations, d’étirement et de démembrement des phrases musicales pucciniennes, mais tourne vite au fourre-tout, passant par des airs de variété, du rock, de la dance et parfois simplement des extraits phonographiques de l’opéra inspirateur (visiblement dans la version de Carlos Kleiber à la Scala, avec Pavarotti et Cotrubas, en 1979).
L’efficacité du spectacle repose sur une atmosphère de bohème parisienne actuelle, grâce à la scénographie de James Brandilly, qui consiste en un amas de matelas et d’ustensiles usagés (téléviseurs, ordinateurs) ; à l’arrière-plan, l’Ensemble Court-circuit et Jean Deroyer, dont l’implication et l’aisance à servir les différentes factures musicales révèlent une vraie performance. La mise en scène de Guillaume Vincent met essentiellement en valeur les duos amoureux, langoureux et réalistes. Elle trouve ses limites sur le reste de l’œuvre, sans doute en partie à cause du livret de Bastien Gallet, souvent bancal et trop agencé de divers encombrements (certes, on traite La bohème, mais tout de même), dont l’intérêt véritable est de transposer l’intrigue de nos jours. Enfin, bien que provoquant parfois le rire, les blagues interrompant la continuité de la représentation apportent leur lot de gamineries malvenues et cassent les ambiances créées par les chanteurs. Ainsi en est-il d’un plug anal offert par Rodolphe à Mimi, en rapport avec le sapin de Paul McCarthy, vandalisé il y a quelques semaines place Vendôme.
Reste les chanteurs-acteurs, parfaitement crédibles dans leur personnage, en plus d’être jeunes et beaux, pour la plupart. Découverte en 2009 sur M6, Camélia Jordana donne, malgré (ou grâce à) sa voix cassée amplifiée par un micro, une Mimi 1 sensuelle et touchante, tandis qu’on lui préfèrera le timbre et la technique lyrique de Judith Fa, Mimi 2 d’opéra. La Musette de Pauline Courtin est encore plus stable, et propose même de superbes aigus, auxquels on pourra opposer les graves de Caroline Rose, ici Comtesse Geschwitz importée de Lulu, employant à loisir le mégaphone pour imposer ses caprices. Émouvant, le Marcel de Christophe Gay ne dispose pas d’une partie assez longue pour laisser évaluer ses qualités [lire nos chroniques du 20 mars 2003, du 6 décembre 2005 et du 27 juin 2006], de même que Christian Helmer en Rodolphe [lire notre chronique du 10 avril 2011], dont les emprunts à Puccini sont souvent écourtés ou mêlés d’autres sons.
Si ce spectacle questionne l’avenir de l’opéra et semble s’adresser à un public plus jeune que celui des grandes salles, encore lui manque-t-il une qualité d’écriture et une cohésion d’ensemble pour s’imposer et être remonté souvent à l’avenir, à l’instar de son aîné de cent dix-sept ans ou, plus récemment du Balcon d’Eötvös, déjà vu plus de cinq fois dans le monde depuis sa création en 2002.
VG