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Chroniques
Missa Solemnis en ré majeur Op.123
Christoph Eschenbach dirige l’Orchestre de Paris
La Missa Solemnis en ré majeur Op.123 de Ludwig van Beethoven est une œuvre exigeante. L’unité du texte liturgique s’y décline dans la variété de ses lieux, classiquement distribués de l’eleison grec au misere latin via le Credo central, flanqué des louanges du Gloria et du Sanctus. De façon dramatique, de brusques mouvements de la sensibilité cassent cette belle symétrie, en s’inscrivant dans la tension d’un texte bouleversé entre mystères douloureux (crucifixus, passus et sepultus est) et joyeux (incarnatus est,resurrexit), douleur du péché (peccata mundi) et espérance de paix (remissionnem peccatorum,dona nobis pacem), intensité de la supplique (miserere nobis) et coruscante effusion de la dévotion (Gloria,Sanctus). Tous ces mouvements, la partition les suit dans un parti pris de fraîcheur volubile portée par un chœur omniprésent et une labilité toute adolescente, affectant la parole liturgique d’un texte musical comme spontanément enté à ses mouvements affectifs.
Offrir tout son espace à pareille musique n’est pas chose aisée, et il n’est pas dit que Christoph Eschenbach y parvienne pleinement. Cela étant, sous sa baguette, l’Orchestre de Paris et son Chœur sen mettent non sans subtilité au service d’une réelle intensité d’expression et d’une efficace lecture de la partition. Dès le Kyrie, le son s’enfle dans la crue des fortissimi – mais quel moyen d’y parer ? Parmi les bois, la flûte fait gracieusement la planche le long de quelques mesures. On doit aux trompettes et aux soprani quelques attaques peu justes, sans que cela oublier pour autant la belle homogénéité des pupitres. Paul Groves, très chaleureusement projeté, et Christine Schäfer se montrent des plus convaincants.
À l’orée du gratias agimus tibi, les vents livrent un travail d’une belle expressivité. À la clarté de Paul Groves répond une Annette Jahns au timbre réservé, serré parfois. L’intensité orchestrale s’épaissit jusqu’à l’éblouissement solaire – nous naviguons en Gloria, après tout. Que les soprani, une fois encore (mais ce sera une constante) soient plus flous sur leurs attaques importune finalement peu, le chœur se montrant tout du long d’une grande unité d’ensemble et d’une réelle qualité de son et de concentration.
Au long du Credo, on regrette souvent que le texte peine à se faire entendre. La touffeur et la verticalité harmonique du son et son affolement dans le contrepoint ne permettent pas toujours aux phonèmes de se frayer un passage jusqu’à l’oreille – et c’est d’autant dommage que la partition, on l’a dit, joue au plus près du texte. Néanmoins nous apprécions, comme souvent avec l’Orchestre de Paris, de très élégants passages chambristes. Les cordes graves donnent à l’et incarnatus est une belle tenue et Paul Groves s’y montre à nouveau fort probant. Les flûtes, excellentes, et les solistes, se répondant avec grande grâce et douceur, offrent là un bel instant. L’évocation de la passion est l’occasion d’un moment plus musicalement dramatique : répons des trombones au lyrisme des accords de l’orchestre sur crucifixus, langueur des violons sur passus, s’achevant sur le decrescendo somptueux de douleur de la mise au tombeau (et supultus). En contraste, la vitalité de la résurrection et l’optique du jugement emmènent dans un climat saisissant d’assertivité verticale (judicare vivos). La fugue de l’et vitam venturi témoigne d’une réelle homogénéité chœur/orchestre, nonobstant les legati un peu flous des soprani et l’indiscernabilité, cette fois abyssale, du texte. Ici ou là, Paul Groves se fait un peu plus acide, mais toujours bellement projeté, tandis que Robert Holl offre un timbre rond et chaleureux. C’est d’une texture pleine de joie que l’orchestre conclut l’Amen final.
L’entrée fugato des cordes à l’ouverture du Sanctus sonne wagnérienne, voire mahlérienne, tôt remplacée par une diction plus classique. Les solistes gratifient d’un fin travail d’ensemble – Annette Jahns toujours un peu en retrait –, et la transition chambriste des cordes graves vers le Benedictus s’avère particulièrement émouvante. L’intervention du violon de Philippe Aïche au lyrisme contenu et discrètement concertant – son beau dialogue initial avec les vents et une flûte toujours excellente – illustre à quel point cette œuvre exige du soliste. Quand bien même Christine Schäfer semblera un peu plus contrainte qu’en début de soirée, le Benedictus plein de chaleur de Robert Holl contribue pleinement à la lumière et à la retenue de cette séquence.
Attaque difficile en début d’Agnus Dei. Une fois n’est pas coutume, le timbre de Robert Holl se fait un peu sourd, mais l’heureuse pesanteur des cordes leste ce moment de gravité. Sur miserere, l’intervention d’Annette Jahns se fait presque opératique. Aux amples phrasés des cordes succède une moire orchestrale efficace engendrée par les violons en arpèges sur trame des basses. Quelque chose de plus libre se laisse découvrir dans la fugue du dona nobis pacem. Les flûtes enchantent, ainsi que le contrepoint. Si tout n’est pas toujours musicalement égal, l’ensemble n’est pas sans majesté ni spiritualité.
MD