Chroniques

par bertrand bolognesi

modernités d’hier
1964… 1952… 1931…

Festival Les Musiques / Auditorium du Parc Chanot, Marseille
- 15 mai 2009

Nous retrouvons ici l’Orchestre Philharmonique de Nice dans un programme d’aujourd’hui… ou, plus précisément, d’hier et d’avant-hier. On ne dira jamais assez, pour un festival de création, l’importance de rejouer les œuvres - la notion d’interprétation est essentielle : une pièce est jouée lors de sa création, bien souvent d’une manière qui n’est pas entièrement satisfaisante, s’agissant d’une première approche, avec toutes les imperfections induites par cette situation, puis il lui faut attendre longtemps avant d’être rejouée -, de mettre en regard la production de la nouvelle génération avec celle du passé. Et c’est bien ainsi que s’intègre le menu de ce soir, entre William Bennett et Morton Feldman donnés hier, Tokunaga, Mantovani, Pintscher, Patar et Saariaho donnés demain midi ou les créations de Murail, Harvey et Maïda, demain soir.

Composé entre 1959 et 1964, Métaboles d’Henri Dutilleux faisait en son temps la somme d’une certaine couleur contemporaine, sans qu’une ligne esthétique forte y transparaisse au-delà de l’emploi des procédés acquis. Dans un moelleux aimablement équilibré des cordes où les incises des vents sonnent gentiment le souvenir varèsien, Mark Foster dessine l’exécution, révélant un pupitre de violoncelle en net progrès. Sobrement, il se gardera de trop souligner l’usage jazzique des extrapolations solistiques du parcours achevé, comme un défilé en fin de bœuf, d’une partition qui se veut séduisante jusqu’en ses emprunts au Stravinsky du Sacre ou au Debussy de Jeux. Ici, le retour du motif initial ne déroge pas à l’opulence chérie par le savoir-faire du compositeur, un métier précieux qui élit la manière plutôt que l’idée.

L’efficacité du pupitre de percussions de la formation niçoise se révèle plus clairement encore dans Spiel écrit par Karlheinz Stockhausen en 1952. Après Métaboles, le contraste est saisissant ! La radicalité de l’œuvre, pourtant plus ancienne, stimule d’emblée l’écoute. La sécheresse des attaques, superposées à un continuo effroyablement régulier, tant dans le temps que dans l’intensité, est parfaitement dosée, sans appuyer le trait. La tension obtenue par Foster force l’oreille. Le second volet maintient savamment la nuance, l’alliage timbrique percussions + piano croisant rigoureusement l’intermittence des cordes. Cette interprétation frappe par sa grande clarté.

Après l’entracte, nous entendons le Concerto pour piano n°2 que Béla Bartók conçut en 1931. Evidemment, cet à-rebours invite à réfléchir sur la modernité, tant celle de cette œuvre-là constitue un choc, encore aujourd’hui, contrairement aux opus précédemment entendus. En revanche, la déception est grande d’avoir à goûter un Allegro pris beaucoup trop lentement, par un orchestre demeurant timide dont les cuivres ne possèdent pas le lustre requis. Bonne surprise : c’est un Bechstein qu’on a installé sur le plateau, ce soir. Sans doute n’est-ce pas le piano idéal pour jouer Bartók, mais voilà bien de quoi nettoyer notre écoute du vilain son Steinway systématiquement imposé dans nos salles. D’une riche sonorité dans l’aigu, doté d’une saine homogénéité et d’une personnalité propre, d’une pâte profonde qui trouve appui sur des graves ronds, ce Bechstein possède indéniablement d’appréciables qualités expressives, d’autant révélées par la générosité naturelle du jeu de Roger Muraro, toujours d’une belle sensibilité dans ses contrastes. L’aura de l’instrument prend toute sa dimension dans la remarquable vigueur de la cadence solo. Un vrai travail assure la tendresse des cordes sur le mouvement médian, Muraro faisant judicieusement son entrée dans la même inflexion. De fait, le tempo revient vers des proportions plus raisonnables. Foster ménage alors des demi-teintes raffinées. Pour finir, l’Allegro molto marie les deux aspects antérieurs – tonicité des vents et velours des cordes – dans le relief des caisses, dans une conclusion justement saluée par le public.

BB