Chroniques

par bertrand bolognesi

modernités d'hier et d'aujourd'hui
Du XIIIe Siècle à Michael Levinas

Abbaye de Royaumont
- 7 septembre 2008
Jean Fouquet, La Vierge à l'enfant entourée d'anges, Diptyque de Melun
© dr

S’il arrive de pouvoir entendre des programmes de concert croisant la création contemporaine à la tradition, il est relativement inédit de rencontrer un après-midi s’interrogeant sur la modernité, à travers des œuvres des XIIIe et XIVe siècles et des pages encore toutes fraîches. Conçu en trois parties, ce rendez-vous s’ouvre par une promenade vocale mise en espace et éclairée par Alain Brugnago. La Vierge à l’enfant entourée d’anges (Jean Fouquet : Diptyque de Melun, ~ 1452-55 ; voir notre photo) mise en exergue de la scène se fragmente sur les costumes des six chanteuses et se meut avec elles, colorant un code gestuel ritualisé, opérant aussi bien dans les séquences d’inspiration religieuse que dans l’expression profane.

Après un entrelacs empruntant à Philippe de Vitry, Jacob Senleche et Adam de La Halle, l’ensemble De Caelis fait entendre Trois chansons pour la loterie Pierrot et Jean de la Grêle composé par Michael Levinas sur des extraits de La Chair de l’homme de Valère Novarina. Comme dans son Go-gol, Levinas altère les voix en usant d’accessoires, tout en retrouvant le climat de la Conférence des oiseaux. La langue joueuse de Novarina offre un matériau d’une richesse exceptionnelle dont le musicien profite avec verve, jusqu’à la seconde partie de la troisième chanson qui, par son procédé, lorgne du côté de l’ouverture des Nègres. Le plateau est alors investi par les voix nettement contrastée constituant les Neue Vocalsolisten Stuttgart qui donnent Le O du Haut en création mondiale, conçu à partir de poèmes de Gerashim Luca. Le sourire et la distance ne sont plus de mise ; nous touchons un univers sensible qui s’excorie.

De Caelis revient pour un épisode central où la scénographie se simplifie jusqu’à renouer avec le dispositif de concert, annonçant la configuration de la dernière partie. La complexité des œuvres de Vitry et Porta rejoint celle que l’on vient de goûter. En revanche, Déserts de Jonathan Bell y fait pâle figure. Pour finir, la précision des artistes badois sert idéalement la grande richesse expressive des Madrigali de Salvatore Sciarrino.

BB