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Chroniques
Momo Kodama, Olivier Latry, Lise de La Salle, Quatuor Tana
Bach, Brahms, Gigout, Glass, Liszt, Mozart, Schumann, Ravel et Widor
Cela fait quinze ans que Lille Piano(s) Festival célèbre l'ivoire noire et blanche dans tous ses états : en récital solo, en formation de chambre et avec orchestre également, mais aussi dans les explorations jazz, sans oublier les autres claviers. Ce dimanche de clôture témoigne de cette diversité de programmation. Le matin, salle du Conservatoire, Momo Kodama et le Quatuor Tana donnent un concert associant le romantisme germanique et le répertoire contemporain. Le Quatuor pour piano et cordes en sol mineur Op.25 n°1 de Johannes Brahms résonne avec une appréciable cohérence. Sans enflure inutile, l'Allegro augural ménage une tension calibrée au fil du mouvement, dans un développement intelligemment mené. Articulé autour d'une ritournelle idiomatique, l'Intermezzo dévoile une sensibilité fluide où le doigté délié se fait le partenaire complémentaire de tutti de cordes parfois denses. Un balancement expressif fait vivre un Andante con moto souple et sensible, avant un final alerte, Rondo alla zingarese aux rythmes accentués, sans céder néanmoins à la facilité des stéréotypes. D'un seul jet, le Quatuor n°7 de Philip Glass confirme la connaissance approfondie que les Tana ont de l'œuvre de l'Américain. La stase lancinante du matériau mélodique, à laquelle se reconnaît l'inspiration de l'auteur d'Einstein on the beach [lire notre chronique du 16 mars 2012], ne se fige pas et façonne ce qu'on pourrait appeler une inertie évolutive que les quatre solistes mettent en évidence avec un sens avisé de la dynamique.
Après le déjeuner, les mélomanes lillois ont rendez-vous à la Cathédrale Notre-Dame de la Treille, nouveau lieu investi par le festival, pour tourner leurs oreilles vers l'orgue du siège épiscopal. En ce dimanche après-midi, c’est Olivier Latry, titulaire sans office depuis l'incendie de Notre-Dame de Paris, qui s'installe à la console. Comme à son habitude, l'organiste introduit son récital de quelques commentaires, placé sous le signe de Bach, tel que le XIXe siècle l'a réinterprété, de part et d'autre du Rhin. Après une des Six Fugues on BACH Op.60 de Robert Schumann, où respire la science du contrepoint, la Fantasie und Fuge über das Thema B-A-C-H S.260 de Ferenc Liszt offre un intéressant aller-retour entre les instruments : l'interprète a choisi l'adaptation de Jean Guillou à partir de la version que le maître hongrois avait réalisée pour piano. La lumière, douce, de la sonorité, irradie un discours empreint d'une spiritualité communicative où la couleur prend parfois le pas sur la définition, dans une acoustique plutôt holistique. Deux pièces brèves de Charles-Marie Widor et une variation sur un air de cantate d’Eugène Gigout (1844-1925) font entendre ce que la tradition francophone a produit, tandis qu'Olivier Latry propose sa transcription très texturée du Prélude de la Partita en mi majeur BWV 1006 n°3, avant un bis reprenant unesinfonia de concerto du Cantor de Leipzig.
Dans le registre plus classique du récital de piano, Lise de La Salle met en regard Mozart et Ravel, en fin d'après-midi, dans la grande salle du Nouveau Siècle. L'élégance de son jeu décidé sert les modulations du classicisme viennois de la Fantasia en ré mineur K.397 et du Rondo en ré majeur K.485, sans oublier les Douze variations sur « Ah ! vous dirais-je, maman » K.265. La Sonatine de Ravel et les trois numéros de Miroirs (Une barque sur l'océan, Oiseaux tristes et Alborada del Garcioso) révèlent, quant à eux, d'indéniables moyens dans les éblouissements picturaux.
GC