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Chroniques
Monsieur de Pourceaugnac
comédie-ballet de Molière et Jean-Baptiste Lully
La promotion du crépuscule ne doit pas induire en erreur. Étrennée à Caen le 17 décembre dernier, avant une vaste tournée non limitée aux frontières hexagonales qui, à l'Opéra royal de Versailles, marque une première étape, la production de Monsieur de Pourceaugnac réglée par Clément Hervieu-Léger est d'abord la dernière des Arts Florissants à bénéficier du soutien de la ville normande, mettant un terme à un partenariat historique entretenu de longue date.
Sans nier le rôle déterminant des notes et de la danse dans l'organisation formelle de l'ouvrage, le légitime coup de projecteur sur les interprètes de la partition de Lully ne saurait faire oublier que la comédie-ballet, fruit de la collaboration entre les deux Jean-Baptiste en cour auprès du Roi Soleil, est d'abord une pièce de Molière et l'une de ses plus cruelles. Tournant en dérision autant l'innocence des provinciaux à Paris que les arrangements matrimoniaux de parents – surtout des pères – que l'époque ne rend pas sensible aux sentiments de leur progéniture, Monsieur de Pourceaugnac pousse la farce à un degré de violence tel que le héros éponyme finit par devenir une victime suscitant la commisération du spectateur.
Dans un décor d'un minimalisme mobile de panneaux anthracite et bois, réalisé par Aurélie Mestre, au diapason de l'adaptabilité théâtrale recherchée pour l'itinérance du projet, la mise en scène du Sociétaire de la Comédie-Française ne le dément pas. Il a opté pour une transposition dans l'immédiat après-guerre, avec traction vert-anglais à batterie audible. Les costumes dessinés par Caroline de Vivaise, à l'avenant, élaguent ainsi toute tentation baroque décorative et participent de l'étonnante contemporanéité du texte, que l'on devine à peine retouché.
Les cinq personnages principaux répondent à l'exclusivité des planches.
Le débit logorrhéique du Sbrigani de Daniel San Pedro, virtuose faux napolitain aux déguisements versatiles flirtant avec l'espagnolade en toréador céladon et fuchsia, exerce sans doute son aura sur les jeunes amants – Julie et Eraste, respectivement Juliette Léger et Guillaume Rivoire – sinon l'Oronte d'Alain Trétout, quand Gilles Privat dévoile remarquablement les ressorts d'humanité, parfois insoupçonnés, de Monsieur de Pourceaugnac.
La palette de rôles secondaires se soumet, en grande partie, au cahier des charges mêlant talents déclamatoires et harmoniques, sans omettre les pas chorégraphiques imaginées par Bruno Bouché, danseur de l'Opéra national de Paris, l'autre grande institution, à l'autre bout d'une certaine avenue célèbre, à s'être montrée fée pour un spectacle moins bohème qu'il n'y paraît. Au fait du style ArtsFlo, sans avoir besoin de caricaturer les exigences d'émission, on retrouve la haute-contre Erwin Aros et la baryton-basse Matthieu Lécroart, le babil du soprano Claire Debono et la basse Cyril Costanzo, les uns en exotisme égyptien, les autres dans le délire apothicaire. En faisant aller et venir sur le plateau William Christie et ses musiciens (qu’ainsi qu’en ses débuts il dirige du clavecin), au gré des exigences de l'œuvre, le dispositif renforce pour le spectateur l'interaction entre les arts, même si le jeu équilibré, coloré et idiomatique des Arts Florissants ne transsubstantie pas les numéros de Lully jusqu'à l'égalité d'un Molière qui, au fond, quoiqu'en conclusion musicale, a le dernier mot.
GC