Chroniques

par marc develey

Mozart joue avec le silence au travers
d’une exacerbation de la surface sonore

Radu Lupu, Osmo Vänskä et l’Orchestre de Paris
Théâtre Mogador, Paris
- 31 mai 2006

Mozart, élégant et superficiel ? C’est à voir. Un écart se fait assurément jour entre les appréciations extatiques des uns et notre propre perplexité face à une musique qui, à ne nous toucher que rarement, ne suscite souvent plus qu’un intérêt distant et quelque peu condescendant. Comment l’écouter ? Depuis quelques temps, la question nous taraude. Et, pour nous même, nous tentons pour hypothèse qu’elle fraierait peut-être dans le son un chemin dont la profondeur serait à trouver dans la simplicité souple des orchestrations et la grâce de mélodie parfois poussées jusqu’à l’épure, plus que dans l’inventivité harmonique.

Cela, il fallait sans doute la sensibilité du toucher de Radu Lupu pour nous laisser l’entendre. Souvent aux antipodes de ce que nous apprécions des qualités d’un pianiste – fermeté du son, netteté des articulations, intensité de la présence –, le jeu de Lupu fait honneur au Concerto en ré mineur n°20 K.466. Déployées avec une belle économie de moyens, les phrases de l’Allegro se voient soutenues d’une pédale généreuse donnant au son un décours ample, presque liquide. Sur une basse élégante et sonnant de façon parfois inédite, la très fluide main droite vient tirer les gouttes d’un chant exquis du registre aigu du Steinway – malheureusement rendu claquant par de brusques accès forte. Cotonneux dans la Romance, très en surface de clavier, le piano se perd parfois sous un orchestre dans l’ensemble fort honnête mais en deçà du style du soliste. À choisir de conserver un harmonieux classicisme à cette partition pourtant composée en fin de période Sturm und Drang, Osmo Vänskä laisse la sensation de n’atteindre pas toutes les promesses de l’œuvre. Ainsi, du Rondo final formons-nous un jugement en demi-teinte, charmé par le velouté du piano, moins convainquant peut-être dans l’exposition mezzo-forte du thème, mais plus circonspect vis-à-vis d’une approche orchestrale sans génie, sinon dans les dialogues entre flûte et piano.

Si toute musique joue avec le silence, il nous semble, en une formulation sans doute extrêmement provisoire, que celle de Mozart s’y essaie au travers d’une exacerbation de la surface sonore – son velours si l’on veut – plus que de sa profondeur – ou sa résonance. Ce ne sont là que des images, mais elles traduisent encore ce que Radu Lupu offre en bis : une page mozartienne toute traversée d’un étonnant et personnel rubato (hésitation d’après la note avant laquelle on l’attendrait), parfois portée en limite de son, et d’une élégance dont la sensibilité n’est pas sans évoquer la subtile préciosité de certain dandysme.

L’Orchestre de Paris donnae en cadre à ce concerto deux pièces de Piotr Tchaïkovski : la Suiteen sol majeur Op.61 n°4 «Mozartiana» et la Symphonieen mi mineur Op.64 n°5. En ouverture de concert, la première, écrite sur des thèmes de Mozart, bénéficie d’un style classique, non sans quelque langueur(Menuet). Le son, souvent tiré aux violons, se fait maniéré à l’occasion. Les bois, à l’exception des flûtes, excellentes, semblent souvent un peu rudes dans la Preghiera, mais le soin apporté à la sonorité, sinon aux timbres, fait de l’ensemble, et tout particulièrement du Thème et variations, un moment réjouissant et de très bonne tenue – les deuxième et huitième variationsfont particulièrement montre d’une fort sympathique liesse.

Donnée en seconde partie, la Cinquième offre une belle énergie romantique. Velouté des clarinettes dans l’Andante du premier mouvement, et dans l’Allegro con anima, belle tenue des tutti et élégance du legato. Les cordes graves donnent au second mouvement une ouverture splendide, et si le cor s’y révèle souvent imprécis et les pizzicati rarement synchrones, la sonorité de l’ensemble parvient toujours à tenir l’œuvre. De la Valse, l’allant s’avère appréciable, et l’énergie parfois féroce de l’Allegro vivace final, entrecoupée de passages plus agréablement chambristes, témoigne du bel équilibre des pupitres.

MD