Chroniques

par marc develey

Mstislav Rostropovitch rend hommage à Dmitri Chostakovitch
Orchestre de Paris, centenaire Chostakovitch I

Salle Pleyel, Paris
- 16 novembre 2006
© dr

Un concert, une lecture : autant de lieux de rencontre avec une œuvre. Mais si une page de texte, à supporter les retours en arrière, peut se montrer tolérante vis-à-vis des flottements de l’attention, pareille indulgence n’est pas de mise au regard de l’audition d’une page de musique vivante. Requise y est l’attention de l’auditeur ;à s’absenter, il risque fort de passer à côté de la rencontre. Or, ce soir-là, qui voyait se croiser autour de l’Orchestre de Paris la direction de Mstislav Rostropovitch et deux œuvres de Dmitri Chostakovitch, nous étions absents et fûmes dès lors comme étrangers à l’ovation finale dont fut gratifiée l’interprétation. La soirée avait de quoi réveiller, pourtant. Qu’on en juge.

Le Concerto en mi bémol majeur pour violoncelle Op.107 n°1 s’ouvrit sur un Allegretto dont la pâte orchestrale, à la fois lourde, liée et souple, n’était pas sans évoquer quelque langoureux animal, obèse et pourtant vif, sur les mouvements duquel se détachaient les hoquets secs et débordants d’énergie de l’archet de Tatiana Vassilieva. Au lyrisme souple du Moderato, l’orchestre offrit la délicatesse d’attaques imperceptibles et la mer de ses cordes, tandis que du violoncelle, un peu pincé en début de mouvement, s’installait, toute élégiaque, la belle retenue du chant. Sans excès, les tutti furent néanmoins bellement tenus, nous laissant assez d’oreille pour apprécier la reprise à l’harmonique du violoncelle sur l’ostinato chromatique des cordes. La Cadenza virtuose permit à la soliste de déployer une belle expressivité, avant que l’œuvre ne se refermât sur un Allegro con moto à la fois sobre, précis et fluide habité d’une folle énergie, tant au violoncelle qu’à l’orchestre, les stridences mesurées des bois le disputant au son plein, massif peut-être, des cordes.

Nous gardons peu de souvenir en comparaison (c’est dire !) de la Symphonieen ut mineur Op.65 n°8. Les coruscants excès – proprement assourdissants – nous en ont éloignés, tandis que, décidément flottants, nous peinâmes à rester présents aux très bienvenus – et bellement habités – moments de paix.

Pourtant, dès l’immense introduction Adagio se retrouvait la pâte lourde et onctueuse des cordes, au portamento languide. Beaux moments d’un lyrisme mystérieux, aux flûtes, altos et violoncelles. Mais rapidement s’imposèrent les tutti, vertigineux de raillerie sauvage et désespérée, l’orchestre se trouvant poussé par le chef au bout de sa réserve sonore. Ici, le corps de l’auditeur – le nôtre en tout cas – ne put rester indifférent ; l’oreille partit habiter le muscle : pareille musique ne se pouvait recevoir qu’à s’en excepter, pour autant que l’on eût suffisamment de présence, à se laisser dévaster par l’exaltation qu’elle véhiculait ou à fuir, dans le cas contraire. Nous avons fui ; trouvant néanmoins à respirer brièvement sur un solo de hautbois, bien tendre après les hurlements.

Du dynamique et gras Allegretto, presque massé par la direction de Rostropovitch, nous retenons une très élégante prestation des vents et des percussions. La Toccata commençait dans une belle énergie, attacca et marcata, prise dans l’épaisseur de la note. Les nappes sonores entremêlées du Largo, quelques passages chambristes de l’Allegretto n’éveillèrent qu’anecdotiquement une attention qui ne devait plus être réellement sollicitée. C’est dommage, sans doute.

L’Orchestre de Paris s’est montré excellent, mené par une direction souvent cataclysmique dans sa gestion de l’énergie – la dynamique sonore put passer des pianississimi les plus subtils aux fortissississimi les plus mafflus. C’eût été une expérience que de pouvoir faire face à la musique qui se jouait là. Rencontre manquée, donc, mais la responsabilité en incombe moins aux musiciens qu’aux œuvres et à ce que nous étions en mesure de recevoir à ce moment-là. Nous croyons à un ethos de l’écoute et à une éthique de l’auditeur commandant la nécessité d’un travail de l’attention, travail du corps autant que de l’intelligence de l’oreille. Position dont, ce soir-là, nous avons trouvé en négatif confirmation du bien-fondé.

MD