Chroniques

par gilles charlassier

musiciens de l’ensemble Multilatérale
œuvres d’Aperghis, Bedrossian, Cendo, Ferneyhough et Robin

Abbaye de Royaumont
- 9 septembre 2017
Drame au jardin : un parcours musical déambulatoire en l'Abbaye de Royaumont
© dr

Thébaïde au cœur du Parc naturel régional Oise-Pays de France, à une trentaine de kilomètres au nord de Paris, Royaumont ne se contente pas des bâtiments de l'abbaye, mais invite également sa programmation musicale à investir les espaces verts en son enceinte. En témoigne le concert Drame au jardin, en ce samedi après-midi de début septembre suspendu aux essorages des cieux, au cœur d'un week-end consacré à la création contemporaine où l'on pourra découvrir le travail des compositeurs en résidence de Voix Nouvelles [voir notre chronique].

À rebours des audiences statiques, le public suit un parcours déambulatoire qui part de la bibliothèque, où un piano aux cordes aussi truffées de feuilles d'aluminium que le vibraphone adjacent dialogue avec d'autres percussions. Dans Edges, Franck Bedrossian exacerbe les contrastes entre les sonorités feutrées du clavier préparé par Lise Beaudoin et les déflagrations dispersées par Hélène Colombotti jusqu'à la satiété, sinon au delà, configurant ainsi une efficace polarisation des intensités extrêmes. Virtuose dans sa palette thématique et rythmique, la dialectique se satisfait d'elle-même, soutenue par la maîtrise des deux interprètes.

Repu d'effets, le public se dirige ensuite vers le cloître où se rassembler autour d'une harpe. Accompagnée par Alain Billard (que l'on retrouvera à la clarinette contrebasse dans le potager), Aurélie Saraf incarne avec une troublante crédibilité la déréliction de la récitante de Fidélité de Georges Aperghis : aveugle ou déficiente mentale, le spectateur se laisse piéger par une scénographie et un jeu qui invitent à la compassion. D'une beauté intemporelle qui vient puiser aux sources du dénuement antique la figure de l'aède ou de la prêtresse incomprise, la pièce tresse une complainte amoureuse perlée d'accords épousant les soubresauts de l'émotion, jusqu'à un climax de folie véhémente avant un reflux conclusif. Cette merveille de théâtre miniature, articulant la déclamation au point d'émergence de son lyrisme, constitue un admirable exemple d'ascèse vers l'essentiel qui ne verse jamais dans l'aridité – au contraire –, et s'inscrit légitiment au répertoire quand elle est défendue avec un tel engagement.

L'assistance rejoint alors le potager, arrangé en espace électroacoustique pour les trois dernières pièces de cette promenade musicale : chacune offre une interaction différente avec le dispositif électronique. Sans avoir besoin du commentaire impromptu d'un aéroplane de tourisme, Symétriades d’Yann Robin donne une impression d'immersion au cœur d'un réacteur – celui de la densité du son. Les modulations par micro-intervalles de la contrebasse et son prolongement par l'informatique se confondent dans une fascinante matière hybride, jusqu'à ne plus rendre possible la discrimination des sources. Mnémosyne de Bryan Ferneyhough utilise la spatialisation de la flûte basse comme une ressource théâtrale. Les échos en forme de choral, oùà Keiko Murakami, la soliste réelle, répondent des démultiplications fantasmatiques, esquissent un paysage onirique aux vertus méditatives, dont le dessin, sans doute imaginé pour la précision cotonneuse d'un studio, passe admirablement la rampe du plein air. Quant à Décombres de Raphaël Cendo, c'est l'extravagance de la clarinette contrebasse d'Alain Billard qui fait la valeur d'une écriture explorant les harmoniques pachydermiques de l'instrument. Dans cette quête presque tératogène de la saturation, la grisaille électronique ne sert que d'arrière-plan passif, sans interaction dynamique avec la stupéfiante performance instrumentale.

GC