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Chroniques
musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris
Paul Hindemith, György Ligeti, Igor Stravinsky, Edgar Varèse
Arrivé à la huitième et dernière étape de ce Week-end romantique présenté par la germanophile Hélène Pierrakos, livrons une remarque, d’entrée de jeu. Si l’on comprend l’importance ici donnée à Schumann (sept pièces) et à Brahms (quatre pièces) [lire notre chronique du jour], on s’étonne de l’absence du romantisme tardif, voire agonissant – il aurait autorisé quelques Lieder signés Wagner, Strauss ou Webern – pour faire place à un rendez-vous Contre le romantisme ?. Ceci dit, nous sommes ravis de retrouver des pages rares au concert, principalement autour de Sabrina Maaroufi (flûte), Philibert Perrine (hautbois), Jérôme Verhaeghe (clarinette), Ludovic Tissus (basson) et Benjamin Chareyron (cor), membres de l’orchestre maison dans une formation d’usage.
Au début des années vingt, Paul Hindemith (1895-1963) [photo] est perçu comme un radical, véritable Bürgerschreck (terreur des bourgeois) qui ne manque pas de provoquer, ne serait-ce que par un célèbre triptyque lyrique expressionniste : Mörder, Hoffnung der Frauen, Das Nusch-Nuschi (Stuttgart, 1921) et Sancta Susanna (Francfort, 1922), le plus connu [lire nos chroniques du 6 décembre 2016, du 5 février 2012 et du 28 avril 2009]. Parallèlement, il compose une série de huit partitions pour ensemble (1921-1927), soient sept Kammermusik et cette Kleine Kammermusik Op.24 n°2 (1922) en cinq mouvements. Plutôt fougueux, ce quintette à vents se colore d’emblée d’une ironie héroïque, qu’on retrouverait chez Chostakovitch, nourrissant virevoltes de pompe moqueuse ou valse perdant toute dignité.
Durant la même période, Igor Stravinsky (1882-1971) s’attache à une œuvre à la mémoire de Claude Debussy : Symphonies d’instruments à vent (Londres, 1921). « Cérémonie austère » dépourvue d’élément passionnel ou d’éclat dynamique, de l’aveu même de son auteur, elle ouvre une période de prédilection pour cette famille liée au souffle. Dans un texte suivant la création de son Octuor (Londres, 1923), il explique que des cordes auraient apporté trop de nuances, de sensibilité et de chaleur à son envie d’un pur objet sonore, impliquant rigidité de la forme et nécessité de se suffire à lui seul. Énergie et souplesse caractérisent son interprétation, solide et festive comme un manège de foire.
Revenant d’étudier le folklore en Transylvanie (1949-1950), György Ligeti (1923-2006) évoque des confrères (Kálmán, Maros, Sárkőzy, Kurtág, Vass) à la recherche d’un langage simple, entre légèreté et sérieux, et conclut : « à leur secours vient alors la musique populaire » (in György Ligeti et la musique populaire, Symétrie, 2010) [lire notre critique de l’ouvrage]. Parmi ses œuvres de l’époque, sises entre poncif et invention, Six Bagatelles (écrit en 1953) n’échappe pas toujours à l’influence de Bartók et de Stravinsky. Allegro con spirito possède la fougue attendue, et Rubato-Lamentoso une langueur insidieuse, un abattement prémonitoire. La joie lumineuse d’Allegro grazioso ouvre sur la véhémence de Presto ruvido. Enfin, teinté de tristesse, Adagio-Mesto tranche avec l’emballement du Molto vivace.
Ces Bagatelles sont l’anachronisme d’un programme décidément attaché à la deuxième décennie du XXe siècle, puisqu’il s’achève avec Octandre (New York, 1924), octuor aussi court que concentré. D’Hyperprism, sa première tentative de spatialiser la musique, Edgar Varèse (1883-1965) garde les vents (sept au lieu de neuf) mais remplace la percussion par une contrebasse. À entendre les vibrations de cette dernière, le bourdonnement du piccolo ou encore le grain des cuivres (cor, trompette, trombone), on réalise à nouveau combien le compositeur fut inspirant pour la génération suivante (Boulez, Nono, Xenakis, etc.).
LB