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Chroniques
musiciens du Bayerisches Staatsorchester
Dmitri Chostakovitch | Quatuor en ut mineur Op.110 n°8
Comme son nom l’indique, le Münchner Opernfestspiele est un festival où l’on joue des opéras ; il est même l’un des plus prestigieux, par la variété des répertoires présentés, l’audace des mises en scène et la qualité de ses plateaux vocaux. Outre reprendre les productions nées dans la saison à peine écoulée de la Bayerische Staatsoper, il visite le passé avec des spectacles désormais légendaires (Die Zauberflöte d’August Everding, par exemple), offre quelques soirées de Lieder et affiche les premières de deux nouveautés qui gagneront le calendrierde la prochaine. Après Die Gezeichneten en début de mois [lire notre chronique du 7 juillet 2017], le public découvrait vendredi, au Prinzregententheater, la lecture du jeune Nikolaus Habjan d’Oberon de Carl Maria von Weber (que nous verrons demain). Le 28 novembre 2016, Harry Kupfer livrait sa vision de Lady Macbeth de Mzensk que nous applaudissions samedi [lire notre chronique du 22 juillet 2017].
C’est dans la proximité de ces deux ouvrages que s’inscrit le programme de ce concert, donné par cinq instrumentistes du Bayerisches Staatsorchester. À l’été 1828, Franz Schubert achève son Quintette en ut majeur D.953 trois mois avant de s’éteindre ; conscient d’être au seuil de la mort, Weber avait terminé Oberon dans l’urgence, en vue de sa création londonienne de 1826, à peine huit semaines avant de rendre le dernier souffle. Ainsi entendrons-nous après l’entracte cet opus posthume du Viennois, en regard de son aîné de onze ans. Pour commencer, les dorures rococo du théâtre de la Residenz, construit en 1753 par le Badois Johann Straub sur le plan de l’architecte belge François de Cuvilliés, veillent sur le huitième quatuor à cordes du Russe.
Entre l’opéra qui avait défrisé les respectables moustaches d’Iossif Vissarionovitch et la conception du Quatuor en ut mineur Op.110 n°8, vingt-six ans passèrent, marqués par les grandes purges, la guerre qui occasionne un bref retour en grâce du musicien, le rapport Jdanov et sa nouvelle terreur, puis la mort des moustaches, enfin l’avènement de Khrouchtchev à la tête du pays : était désormais possible l’exécution des nouveaux opus de Chostakovitch dont beaucoup n’avaient connu que la prudente obscurité des tiroirs à secrets. Lors d’un voyage à Dresde au printemps 1960, loin de retrouver la cité qu’il avait vue plus jeune l’artiste est confronté à une sorte de fantôme de ville où s’accumulent les signes de la destruction survenue en février 1945 – la Semperoper, par exemple, n’existait plus : elle fut reconstituée à l’identique dans les années quatre-vingt, avec une inauguration en 1985 (Der Freischütz) – et les stigmates d’une reconstruction fonctionnelle dans le goût (soviétique, qu’il ne connaît que trop !) de la DDR. Sous le choc, il compose un quatuor à la mémoire de Dresde et de ses victimes, sorte de requiem à son propre souvenir et à lui-même, que traversent une marche funèbre de la révolution de 1905 et plusieurs autocitations (l’ultime supplication amoureuse de Katerina, l’héroïne de Lady Macbeth de Mzensk, est confiée au violoncelle). La colonne vertébrale des cinq mouvements enchaînés demeure son motif identitaire DSCH (ré, mi bémol, do, si), bien reconnaissable dès les premiers pas et bientôt obsédant.
L’extrême cohésion des quatre musiciens surprend d’emblée, quand on se rappelle qu’il ne s’agit pas là d’un quatuor constitué. Le plaisir à jouer ensemble, la volonté de monter un programme, sont les moteurs puissants de cette belle interprétation. La gelure des violons (José Montón et Guido Gärtner) du Largo prend naissance sur un thrène recueilli du violoncelle (excellent Benedikt Don Strohmeier). À l’alto, Tilo Widenmeyer ménage une calme raucité intrusive, sans pathos mais à pleurer. Vigoureuse et tragique, la virevolte point trop acide de l’Allegro molto n’a cure de sentimentalisme complaisant et avance dans une sonorité charnue, d’autant plus dramatique dans la suspension de son geste. Après la valse nauséeuse (Allegretto) où le premier violon cisèle cruellement le doute, le deuxième Largo (l’œuvre en compte trois) s’impose comme une vaine prière. Un chant généreux et poignant s’élève des archets du cinquième chapitre, Largo en répons du premier mouvement.
Le Quintette en ut majeur D.953 de Schubert nécessite un second violoncelliste : Yves Savary gagne donc la scène où fut révélé l’Idomeneo de Mozart en 1781. Si évidente que soit la haute tenue de l’interprétation, le rendu achoppe contre un écueil acoustique pourtant évitable. Le groupe respecte benoîtement le placement violons + alto + violoncelles (de gauche à droite), du plus aigu au plus grave, en général pratique, mais avec une configuration d’avant-scène et dans le format serti de ce théâtre, disposer l’alto au centre, entre les deux violons, avec les violoncelles aux extrémités favoriserait un équilibre plus probant (moins facile pour la mise en place, cela dit). Après un Allegro ma non troppo heureux comme un rêve d’idylle romantique, non dépourvu de quelques froncements de sourcils, on admire l’élégante pudeur de l’Adagio, funambule enjambant l’infini, mis en relief par un contre-sujet quasi symphonique, ici d’une étonnante véhémence. La danse robuste du Scherzo, fort beethovénien, accuse quelques décalages rythmiques qui suscitent des retrouvailles dans une accentuation excessive. Soudain, le trio central (Andante sostenuto), en lévitation dans la lueur vermeille sourdant d’un verdal d’antan… La conviction sereine du dernier mouvement articule ses trois humeurs avec une nuance confiante, toutefois conclue dans le venin du redoutable stretto final.
BB