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Chroniques
musique anglaise au château d’Hardelot
Frappé par la pandémie, puis par le Brexit et ensuite par les récentes inondations, le château d’Hardelot n’ouvre pas encore toutes ses portes aux visiteurs mais l’étonnant édifice néogothique, entouré de magnifiques petits jardins à l’anglaise, présente le quatorzième Midsummer Festival, manifestation annuelle chapeautée par le Centre culturel de l’Entente cordiale qui en veut encore davantage au sein d’une programmation artistique populaire et de qualité à l’année longue, toujours dans le sens du rapprochement anglofrançais.
Lors du premier des deux week-ends de musique concoctés par Sébastien Mahieuxe, fidèle directeur artistique de l’événement, le goût pour le baroque est sensible à chaque recoin d’un esprit fondateur qui perdure en ces lieux vraiment uniques [lire nos chroniques du 13 juin 2010 et du 19 juin 2011]. Acis and Galatea le porte au plus haut, ce samedi soir, dans la rotonde de bois érigée à l’entrée du domaine – un véritable théâtre élisabéthain d’aujourd’hui, dans le nord de la France. Créé au comté de Middlesex, en 1718, l’ouvrage lyrique du jeune Händel, situé quelque part entre sérénade versaillaise et masque londonien, trouve en version de concert des interprètes inspirés en l’ensemble Masques que dirige du clavecin Olivier Fortin.
Dès la Sinfonia, à la fois malicieuse et sobre, la finesse ne manque pas, même sous l’apparence un peu banale de petite idylle pastorale entre la nymphe des eaux et le berger, menacés par le cyclope Polyphème. Passé le contentement repus d’un chœur intime et chaleureux, servi par les solistes et le mezzo Marie Pouchelon, la Galatée du soprano Rachel Redmond s’avance féline et vénéneuse, puis porte l’alerte aux ardus pépiements de l’ensemble, en symbiose avec le récit épique, avant d’implorer l’amant puis d’appeler l’amour d’une jolie voix juvénile [lire nos chroniques du 7 octobre 2012, du 2 octobre 2014 et du 24 février 2022]. En réponse, le ténor Hugo Hymas (Acis) présente, galant et fougueux, une émission grave et bien allongée. Son puissant premier air, varié, est une belle réussite, tout comme celui marquant l’entrée du ténor Philippe Gagné (Damon), tranchant et à l’aise dans des vocalises audacieuses. Les hautbois incisifs, l’émotion et la juste pompe d’Acis avant sa complainte languissante (Where shall I seek the charming fair?), puis la grâce d’une Galatée comme ivre et délicate (As when the dove) mènent au duo plaisant, de simple bonheur conclu en petite liesse, voire un juste accès de sauvagerie. Au second acte, le chœur va de lamentation en stupeur à l’approche du monstre. Une sorcellerie comique s’épanche en particulier dans l’air viril et jouvenceau du Polyphème clownesque assuré par le baryton Tomáš Král [lire nos chroniques du 22 août 2009, du 20 décembre 2012, des 9 octobre et 16 novembre 2016, du 17 janvier 2019 et du 5 mai 2022]. Les flûtes séduisent, aussi mélodieuses que fortes, à mesure que le géant s’irrite davantage, l’invention musicale atteignant alors son comble. Les airs se corsent, l’ensemble chambriste signe un superbe hymne à la nature et magnifie les chanteurs à l’approche du fantastique dénouement. Acis disparu, son deuil et l’incroyable résolution de sa bien-aimée sont soutenus par un splendide art de la délivrance.
Plus tôt, au Jardin d’hiver, le jeune soprano Agathe Peyrat défendit avec une verve très pop un programme Beatles sans ringardise. Accompagnée d’un ukulélé et de l’accordéoniste Pierre Cussac, l’élégante Britannique s’est lancée avec espièglerie dans la nostalgie de When I’m 64, la folie douce d’Obladi Oblada et d’autres classiques du genre – un tour de chant généreux, sans accrocs et conclu par un medley cordial. En after, moins consensuel peut-être mais tout aussi populaire, le numéro de cabaret de Romy Pétale, alias Martial Pauliat, dévoile la face nocturne du ténor en service chez Madame Arthur, avec un humour qui fait mouche. Enfin, pour un dimanche après-midi radieux en famille, nul ne résiste au charme des Æquinoxes (Pauline Hervouet et Clémentine Leduque), duo de conteuses aussi habiles flûtistes que comédiennes. Adressée aux enfants, la matière originale est offerte en un spectacle délicieux, aux décors et costumes d’autant plus ravissants devant la roseraie.
FC