Recherche
Chroniques
Musique pour cordes, percussion et célesta
Andreas Ottensamer, Camerata Salzburg, Lorenzo Viotti
À vingt-neuf ans, Lorenzo Viotti a déjà fait un bon chemin dans la carrière de chef. Après sa formation en Suisse puis à Lyon, à Vienne et à Weimar, le musicien est rapidement remarqué. À la suite du concours de Cadaqués qui le distingue en 2013, il obtient le Young Conductor Award du Salzburger Festspiele, en 2015. S’ensuivent des engagements à diriger des formations prestigieuses, parmi lesquelles le Rotterdams Philharmonisch Orkest, le Gustav Mahler Jugendorchester, l’Orchestre national de France, la Staatskapelle de Berlin, le Gewandhaus Orchester de Leipzig et même le Koninklijk Concertgebouworkest. Actuellement directeur musical de l’Orquestra Gulbenkian, le jeune homme vient d’être nommé successeur de Marc Albrecht à la tête du Nederlands Philharmonisch Orkest et du Dutch National Opera d’Amsterdam, où il prendra ses fonctions dans deux ans. Dans le domaine lyrique, il fut invité par les opéras de Francfort, Hambourg, Paris, Stuttgart, Tokyo et Zurich, faisant une halte à celui de Lyon pour Le convenienze ed inconvenienze teatrali de Donizetti [lire notre chronique du 24 juin 2017]. Ce soir, nous l’entendons au pupitre de la Camerata Salzburg, dans un programme largement tourné vers le voisin magyar.
Une souplesse inquiète caractérise son approche de l’Andante tranquillo initial de la Zene húros hangszerekre, ütőkre és cselesztára Sz.106 (Musique pour cordes, percussion et célesta) livrée en 1936 par Béla Bartók à Paul Sacher, son commanditaire, pour le Basler Kammerorchester créé par le chef et mécène suisse dix ans auparavant, et qui en donnait la première mondiale in loco le 21 janvier 1937. La présente lecture bénéficie d’un son soigné, quoique sans affèterie, et d’une élégance discrète, à l’œuvre dans le geste parfaitement maîtrisé du vaste crescendo, très concentré. Après cette fugue lente maintenue dans une nuance précieuse, Lorenzo Viotti aborde l’Allegro dans une tonicité de bonne volonté, pour ainsi dire, trouvant en fin de mouvement l’accentuation idéale. Dans l’acoustique prodigieuse du Mozarteum, le travail des timbres s’effectue de lui-même. L’énigmatique commencement de l’Adagio amène peu à peu l’indescriptible burgaudine des gelures timbriques, subtilement réalisée. Et l’ostinato campanaire d’ensuite tournoyer dans un danger larvé. Au percussionniste qu’est aussi Viotti n’échappe certes pas la rigoureuse mise en place de l’Allegro molto. Tout juste manque-t-il ce flamboiement particulier qui d’ordinaire nous ravit.
Au retour de l’entracte, le concert, bien que demeurant de bonne tenue, ne retrouvera plus ce niveau d’inspiration. L’Allegro volontaire du Concerto pour clarinette en fa mineur Op.73 n°1 de Carl Maria von Weber (1811) trouve son relief dans la précision du contraste et de la dynamique, au service d’une expressivité d’un romantisme raffiné. Tenue par Andreas Ottensamer, la partie soliste se dépose, irréprochable, sur cette trame délicate. Doux souvenir mozartien, dont l’acception mélancolique développe une tendresse mystérieuse, l’Adagio ma non troppo manie la mélodie à la faveur d’échanges veloutés, comme celui, ici fort bien réussi, qui marie la clarinette soliste aux cors onctueux. Avec ses ruptures de danses et son envol endiablé, le Rondo final (Allegretto) n’a rien de facile. On goûte l’efficace brio du clarinettiste, ainsi que l’exquise nuance qui ponctue des virevoltes de plus en plus légères.
Violoncelliste talentueux, le Viennois Stephan Koncz (né en 1984), issue d’une famille musicienne hongroise, mène une carrière de chambriste tout en intégrant les Berliner Philharmoniker. Il est également compositeur et pour Andreas Ottensamer il a écrit tout spécialement Ungarische Fantasie nach Themen von Carl Maria von Weber (Fantaisie hongroise sur des thème de Carl Maria von Weber), pour clarinette et orchestre. Ouverte en compagnie du Freischütz, cette page s’appuie sur une manière pesamment rétrograde dont la seule illusion novatrice est de corriger son amidon à l’opulence sucrée d’un jazz klezmer autosatisfait. Rien à dire sur l’interprétation, sans doute concluante, quand l’opus est si désastreux.
Pour finir, Lorenzo Viotti revient seul au pupitre pour donner Galántai táncok (Danses de Galánta, 1933) de Zoltán Kodály. Sous sa battue, l’épargne d’effets du Lento introductif gagne une saveur particulière, magnifiée par des traits solistiques de fort belle facture, par les instrumentistes de la Camerata Salzburg. Lorsque le tutti s’enhardit, le rendu perd de son à-propos. Qu’est-ce qui entrave les musiciens non magyars dans cette musique ? Serait-ce lié à la langue elle-même ?... Toujours est-il qu’une nouvelle fois se signale la fadeur d’une lecture alternant lourdeur et platitude, tout en forçant le trait. Elle est assurément respectueuse de tout ce qui est imprimé sur la partition, mais manque cruellement ce qui n’y est point indiqué. Qu’à cela ne tienne, en bis Lorenzo Viotti donne magistralement la Danse hongroise en sol mineur n°1 de Brahms !
BB