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Chroniques
musiques funèbre de Marc-Antoine Charpentier
ensemble Aquilon dirigé par Sébastien Mahieuxe
Cet après-midi [lire notre chronique de la veille], nous découvrons le jeune ensemble Aquilon, créé en décembre 2003 par le ténor Sébastien Mahieuxe, dans un programme imaginé autour des fêtes musicales qui suivirent la disparition de Louis XIV. Inviter une formation en plein devenir à se produire n'est certes pas fréquent ; aussi David Théodorides, directeur de Sinfonia en Périgord, nous explique-t-il sa démarche :
« Cette année, nous inaugurons un compagnonnage. La transmission, que l'on peut concevoir de diverses manières, nous paraît primordiale. Il y a des académies où les jeunes musiciens vont recueillir les conseils de grands maîtres, comme Ambronay. À Sinfonia, nous avons imaginé d'aider à la professionnalisation de certains d'entre eux dont on a pensé qu'ils en valaient la peine, partant que la création de nouvelles formations est une chose difficile dans le contexte de « vedettariat » qui envahit malheureusement la musique classique aujourd'hui. C'est un devoir d'encourager les jeunes artistes, comme il l'est pour les festivals de constituer de véritables pôles de résistance à un relatif pourrissement du système. Cette année – et c'est là une particularité que nous innovons –, Bernard Fabre-Garrus parraine le jeune ensemble Aquilon : la réalisation d'un CD promotionnel, enregistré sur le vif, dans la réalité d'un concert, permettra à ces artistes de se faire connaître des différents programmateurs, ici et là, grâce à un produit offrant les propriétés professionnelles à même de rendre compte au mieux de leurs qualités. Le label discographique Zig-Zag Territoires a bien voulu se faire complice de ce projet en assumant la prise de son (qui engendre des frais techniques et salariaux), tandis que Sinfonia en Périgord prend en charge le coût logistique et éditorial. S'y associent également la Caisse de Dépôt et Consignation et un acteur de la grande distribution. J'insiste sur le fait qu'il y a création d'un produit professionnel qu'aucune commercialisation ne viendra ultérieurement rentabiliser : il s'agit donc d'une conjugaison d'efforts et de bonne volonté afin de mettre à disposition d'Aquilon un outil pour son avenir proche ».
Si des efforts sont à fournir pour favoriser une homogénéité plus satisfaisante de l'ensemble, Aquilon affirme déjà de grandes qualités. À la cohérence d'un programme véritablement construit vient s'ajouter un enthousiasme et une énergie rafraîchissants, toujours au service d'un travail soigné, soucieux de précision et d'équilibre. Si In honorem Sancti Ludovici regis Galliae H.332 de Charpentier souffre d'un léger heurt entre rendu vocal et instrumental, la balance se rétablit vite pour O amor,o bonitas H.253, réalisé dans une grande minutie. Grâce à une saine qualité d'écoute de chacun, le dosage fonctionne, particulièrement dans les parties lentes et piano. Le contreténor Raphaël Mas gère un chant toujours égal, tandis que le baryton-basse Geoffroy Buffière est irréprochable (Magnificat de Charpentier, notamment). Dans Pacator ubi es (Dialogus Angeli et Peccatoris) d’Henry Du Mont, Sébastien Mahieuxe révèle une sonorité lumineuse et un chant finement nuancé. Si Christophe Gautier (baryton) accuse quelques soucis de justesse, Amine Hadef, ténor possédant incontestablement une voix riche, demeure aujourd'hui en-deçà des moyens qu'il pourrait mettre en œuvre ; il semble que des préoccupations stylistiques, certes louables, contrent une plénitude qui ne demande qu'à s'épanouir (le répertoire n'est pas du tout aisé à mettre en place : ne conviendrait-il pas de libérer préalablement une voix plus capiteuse qu'elle veut bien le croire afin d'y ciseler ensuite une légèreté contrôlée qui permette de répondre à l'exigence de la musique d'ensemble et de l'époque sans dénaturer le timbre ?).
Cinq instrumentistes prêtent leur précieux concours à ce concert : les violonistes Gwénaëlle Chouquet et Céline Martel, l’attentif théorbiste de Miguel Henry et le violoncelle très présent d'Anne-Garance Fabre-Garrus ; ils sont dirigés depuis le clavier par le bienveillant Yves Castagnet. Enfin, deux ravissements absolus, cet après-midi : l'art de Vincent Lièvre-Picard, ténor intermédiaire (dessus à la française) savamment projeté, dont le chant, toujours servi par un phrasé sensible, intelligent, et par un timbre qui ne manque pas de couleurs, ménage le rendu général et profite de la partition ; et une exécution exemplaire et inspirée de Taedet animam meam (in Obitu et obsequium Sacrae Imperatrice) de Tomás Luis de Victoria, véritable prise de risque récompensée par un moment de grâce.
La naissance d'un ensemble original est une bonne nouvelle : gageons que les soins attentifs que connaîtra le bel enfant l'élèveront bientôt au-delà des promesses qu'on soupçonne.
BB