Chroniques

par katy oberlé

Nabucco | Nabuchodonosor
opéra de Giuseppe Verdi

Festival dell'Arena di Verona / Théâtre antique, Vérone
- 7 juillet 2017
Arnaud Bernard signe brillamment le nouveau Nabucco des Arènes de Vérone
© ennevi | fondazione arena di verona

Après deux belles journées de soleil à vagabonder au hasard des ruelles ombragées, trouvant une lumière plus douce sur les rives de l’Adige, avant dix heures du matin, et la fraicheur dans les églises, sans oublier gastronomie et sieste – quasiment obligatoire en juillet, vraiment ! –, il est temps de gagner tranquillement le Piazza Bra où pour moi s’achève ce soir le tiercé verdien commencé avant-hier.

En 1842, Giuseppe Verdi connut son premier grand succès déterminant avec Nabucco dont la première eut lieu le 9 mars. Milan était alors sous domination autrichienne et le fameux Va, pensiero s’inscrivit bien au delà de la Babylone de carton-pâte, sur scène : les Lombards patriotes identifièrent aussitôt ce chœur à leur cause, si bien qu’il devint le plus fameux de l’histoire de l’opéra, à jamais lié à l’unité du pays. Du 18 au 22 mars 1848, un vent de libération souffle sur la ville. L’insurrection l’emporte enfin, Milan devient italienne ou, plus précisément, elle passe sous la protection royaume de Sardaigne, qui deviendrait royaume d’Italie en 1861 – décidément, le mois de mars, hommage au dieu du combat et du printemps que le calendrier romain antique avait fait le premier de l’année, est essentiel aux luttes du Risorgimento. Vérone, quant à elle, dut attendre la Troisième Guerre d’Indépendance pour sortir du joug autrichien, en 1866.

C’est dans l’élan formidable de ces Cinque giornate di Milano qu’Arnaud Bernard transpose l’argument. Bye Bye le péplum mésopotamien, à la faveur d’une fresque historique magnifiquement réalisée, dans un décor d’Alessandro Camera subtilement éclairé par Paolo Mazzon. Au centre de la scène, La Scala, ni plus ni moins, lieu de tous les enthousiasmes et des affrontements. D’une cohérence indiscutable, la mise en abîme présente le double avantage de plonger dans les zones sensibles de l’identité italienne, personnifiée par l’homme Verdi, engagé avec et pour son peuple. Le plus célèbre théâtre lyrique du monde est posé sur une tournette qui permet de jouer devant la façade comme dans sa salle mythique que tout amoureux d’opéra possède dans l’œil. Au troisième acte, l’émotion est grande lorsque les choristes entonnent Va, pensiero sur cette représentation de la scène où il fut chanté pour la première fois. Dans les gradins des arènes, une assemblée de figurants en habits d’époque l’applaudit et l’acclame à tout rompre : l’image se fige, le temps s’arrête et les cœurs battent, fort. Quid des rois, esclaves et prêtres du VIe siècle avant J-C. ? La transposition fonctionne incroyablement bien, avec Zaccaria en Giuseppe Mazzini, ardent et presque fanatique, Ismaele en officier fringant, Abigaille en combattante infiltrée dans les troupes indépendantistes et Nabucco en empereur Franz Joseph I, usurpant les couronnes voisines tel Nabuchodonosor s’emparant du trône juif. D’abord sur la défensive, le public est progressivement conquis par cette option passionnante, défendue, comme souvent les productions d’Arnaud Bernard, par la qualité de la réalisation, digne d’un film de Visconti. La volée des couleurs nationales du final est splendide [lire nos chroniques du 30 septembre 2005, du 31 janvier 2008, du 25 mars 2011, du 27 mai 2015 et du 17 décembre 2016] !

Conquise, je le suis nettement moins, voire pas du tout, par la direction morose, sinistre même, de Daniel Oren, à la tête d’un Orchestra Arena di Verona en bien meilleure forme que les soirs précédents [lire nos chroniques des 5 et 6 juillet 2017]. Le chef sert honorablement les grands tubes grandiloquents de l’œuvre, mais n’accorde pas assez de soin au reste qui fait la trame principale sans laquelle n’auraient pas de sens ces jalons que sont les marches et les chœurs. Un désagréable puritanisme contrit impose des limites frustrantes à l’ampleur du rendu sonore : c’est faire preuve d’une prudence excessive à l’égard de chanteurs qui ne manquent vraiment pas de coffre, ou absence de passion pour une œuvre qui en est généreusement traversée… à moins que ce soit une manière de placer l’exécution musicale à côté de la mise en scène, de s’en désolidariser, peut-être, par désapprobation personnelle. En tout cas, la lecture d’Oren est un pensum.

L’émission confortable de George Gagnidze, la souplesse de la projection et le cuivre qui orne son aigu contribuent à une incarnation plus que satisfaisante du rôle-titre. Le charisme de l’artiste et sa grande musicalité s’ajoutent à ces atouts [lire nos chroniques du 19 juin 2016 et du 3 février 2011]. Applaudi à Nice en Pinkerton [lire notre chronique du 17 mars 2013], Walter Fraccaro détient un ténor incisif et puissant qui fait florès en Ismaele. Le Gran Sacerdote est avantageusement servi – voix et physique, s’il vous plait : on ne voit pas souvent de prêtre aussi sexy ! – par le jeune Romano Dal Zovo qui non seulement possède une basse fleurie mais une maîtrise technique qui promet. Seul le Zaccaria de Stanislav Trofimov paraît terne et instable. Fenena, la fille du roi qui ressemble à Sissi (Elisabeth von Wittelsbach, duchesse de Bavière, impératrice d'Autriche et reine de Hongrie), l’épouse de Franz Joseph, est tenue par le chant élégant du soprano roumain Carmen Adriana Topciu dont le registre central annonce de prochaines prises de rôle moins modestes. Abigaille grand format que celle de Tatiana Melnychenko dont le timbre riche emporte les suffrages, après un temps de chauffe indispensable aux grandes voix.

Ce Nabucco ambitieux et bien chanté conclut mes trois soirées verdiennes. Mon projet était de prolonger l’immersion dans la musique du maître de Bussetto en traversant demain les Alpes d’est en ouest, pour le nouveau Rigoletto d’Orange… mais l’agence parisienne à laquelle les Chorégies confie son service de presse n’a pas même la politesse de répondre à ma demande. Je quitterai donc l’Italie par le nord, vers une maison d’opéra qui n’est pas mal élevée, elle.

KO