Chroniques

par bertrand bolognesi

Neeme Järvi dirige l’Orchestre de Paris
Sibelius à fleur de peau, par Vadim Repin

Salle Pleyel, Paris
- 6 février 2008
le violoniste sibérien Vadim Repin joue le concerto de Sibélius à Paris
© mat hennek | deutsche grammophon

L'Orchestre de Paris propose ce soir un programme intégralement nordique. À sa tête,Neeme Järvi ouvre la soirée par quatre danses et une marche extraites de la suite Aladdin Op.34 composée en 1918 par le Danois Carl Nielsen à partir d'une musique de scène qu'il avait réalisée pour une pièce d'Adam Gottlob Öhlenschläger. La Marche orientale est traversée d'une généreuse et dynamique ondulation, mêlant l'impératif du genre à l'évocation de l'adjectif en une grâce moelleuse dont le chef use avec gourmandise, tout en tirant avantage des bois parisiens. Méandreuse et lyrique, la tendresse des cordes introduit la Danse au matin, plus enlevée. Investie d'une sonorité ronde quoique sans excès de sucre, la nuance délicate de la Danse hindoue, sans mièvre exotisme, et l'articulation souple de la Danse chinoise, d'une irrésistible élégance, se concluront dans le martellement « méchant » et redoutablement régulier de la Danse des maures, bacchanale organisée dont la baguette profite des finasseries rythmiques et des couleurs particulières, sans céder à la tentation d'une sauvagerie plus contrastée.

C'est également par une absolue rareté que le concert s'achève, la Cinquième des onze symphonies d'Eduard Tubin, compositeur estonien dont on rencontre guère l'œuvre dans nos salles. Né en 1905 à Torila, village situé près de Kallaste, au bord du lac Peipus que rendit célèbre la bataille de 1292 par laquelle Alexandre Nevski vainquit les Chevaliers Teutoniques, Tubin étudia l'orgue avec Johannes Kärt et la composition auprès d’Heino Eller, fondateur de l'École de Tartu. Proche de ses racines, il en renforce les liens après sa fréquentation de Kodály et Bartók à Budapest, au milieu des années trente. De fait, de cette Symphonie en sol mineur n°5 créée à Stockholm en 1947 (alors que l'auteur s'est exilé en Suède), l'Allegro energico nous livre dès l'abord des influences diverses, magnifiées par une facture toute personnelle. Dans une tonicité délicate s'y superposent des motifs obstinés, amenant bientôt les cordes à un plus franc lyrisme qui entremêle différents développements. L'on entend beaucoup Chostakovitch, sans que cette parenté s'encombre toutefois de l'inspiration mahlérienne de celui-ci. Neeme Järvi cisèle un relief subtil à son interprétation. Après unAndante tissant son développement à partir d'une triste berceuse des altos (déduite du chant principal du mouvement précédent), on rencontre dans l'Allegro assai conclusif des aspects comparables à ceux de la musique d'Aarre Merikanto. Soigneusement équilibrée, la présente lecture dompte l'effervescence finale sans trop souligner les raffinements internes.

Entre ces découvertes, Vadim Repin rejoint l'Orchestre de Paris pour une interprétation à fleur de peau du Concerto en ré mineur Op.27 de Jean Sibelius. Neeme Järvi insuffle à peine les brumes légères qui permettent à l'auditeur de saisir la préciosité solide de la partie solistique. L'attaque s'opère dans un calme secret qui détient des dangers indicibles. L'approche de l'Allegro moderato s'avère alors savamment intériorisée. Les répliques du tutti s'y expriment dans une épaisseur tourmentée dont s'exclut toute ornementation. La grande cadence distille une incroyable richesse de sonorité, affirmant sa perfection à ne jamais se faire jolie, trouvant le beau où il est, soit loin du convenu.

Plus le diamant est petit, moins son facettage est aisé ; Repin opère en maître, avec la discrétion du génie. Avec la complicité du chef, plutôt que de se « déposer » sur l'orchestre, il donne à croire que celui-ci nait de son geste. Après l'humide duo de clarinettes, il livre de l'Adagio l’âpre mélopée, suspendant son élan à la vigueur rugueuse du dernier mouvement, jamais triomphal ni joueur, jusqu'en ses propres bondissements. L'approche demeure grave, tant exquis que se fassent les chaloupés, si magnifiquement réalisées qu'en soient les harmoniques flûtées. Aurait-on cru possible une telle sobriété ? L'incontestable usage d'effets de la partition est alors rendu naturel : c'est que la pensée, en imposant une prouesse écrasante, mène une virtuosité que l'on croit voir s'effacer en son effectivité même. À des applaudissements enthousiastes et respectueux, le violoniste russe répond par un extrait de la Sonate en mi mineur Op.27 n°4 d'Eugène Ysaÿe. De même Neeme Järvi remercie-t-il le public par une exécution véhémentement engagée du cordial Andante festivo de Sibelius.

En conclusion ? Peut-être reste-t-il des places pour la redite de jeudi soir : dépêchez-vous !

BB