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Chroniques
Nelson Goerner, Yann Dubost et le Quatuor Modigliani
œuvres de Franz Schubert et Fryderyk Chopin
Temps de déconfinement oblige, la soirée d’inauguration de la quarantième édition du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron déroge au traditionnel programme concertant. En réduisant la jauge de l’auditorium à six cents places au lieu des deux mille habituelles, René Martin put obtenir l’autorisation de maintenir la manifestation, adaptée aux conditions spéciales d’un été dont on se souviendra longtemps – à l’entrée du parc du Château de Florans, on nettoie ses mains au gel hydroalcoolique, puis on passe un portique de sécurité en bonne et due forme, au cas où messire Covid aurait convié quelque attentiste zélé, enfin il y faut se déplacer exclusivement masqué, le quadrilatère protecteur pouvant s’affaisser enfin dès assis, partant qu’une distance de deux sièges sépare chacun. Ces consignes contraignantes étant la condition à vérifier pour vivre à nouveau la musique vivante plutôt qu’à la réchauffer en conserve, ne nous en privons pas.
Aujourd’hui, nul orchestre, donc pas plus de chef, mais un soliste au piano, avec une formation chambriste qui associe le Quatuor Modigliani au contrebassiste Yann Dubost. À voir telle précision, déjà le lecteur aura compris que La truite ouvre ce menu. Sous un ciel menaçant, traversé par un zéphyr hargneux qui fait chanter les frondaisons, retentit le geste volontaire qui lance l’Allegro vivace du fameux Quintette en la majeur D.667 de Franz Schubert. Une tonicité sans heurts caractérise l’approche des Modigliani – moins le violoniste Loïc Rio dans cet opus qui n’en requiert qu’un –, d’une inflexion plutôt ferme où Nelson Goerner se distingue par un jeu relativement tendre. L’Andante impose une sorte de touffeur lasse portée par la contrebasse, à l’inverse du Presto rafraîchissant. Une élégance minutieusement ciselée est au rendez-vous du mouvement suivant (Thema con variazioni), tandis qu’un moelleux confortable se libère dans l’épisode final (Allegro giusto).
Sans entracte, et passé un bref ajustage logistique sous la conque de l’étang, nous entendons le Concerto en fa mineur Op.21 n°2 de Fryderyk Chopin dans sa version avec quintette à cordes. Cette option inventive, respectueuse de la tradition augurale de chaque édition du festival, possède l’avantage d’offrir une grande page du répertoire sous un jour nouveau. Ainsi des circonstances malheureuses occasionnent-elles une redécouverte heureuse. Le deuxième violon a rejoint ses camarades Amaury Coeytaux, Laurent Marfaing et François Kieffer (respectivement au violon, à l’alto et au violoncelle), pour une introduction de cordes extrêmement raffinée, dans une vibration un rien désuète dotée d’une saveur attachante. Nelson Goerner signe une entrée farouche. Il instille au Moderato une sonorité d’autrefois, discrète et naturellement charmante. L’évidente sensibilité à l’œuvre dans l’interprétation du premier mouvement se confirme et se déploie plus encore dans le suivant, Larghetto saisissant où chacun tient son rang, si je puis dire. De fait, le contraste se traduit dans la variété des attaques plus que dans l’intensité pour l’Allegro vivace, avec un impact certes moindre mais plus précis dont le lyrisme ravit l’écoute. Les cigales se sont tues, un bouclier noir s’éloigne vers le Luberon, laissant poindre les feux rose-orangé du couchant et s’évader quelques gouttes tièdes : le concert a eu raison des aléas climatiques.
BB