Chroniques

par françois cavaillès

Nemanja Radulović et Laure Favre-Kahn
Bloch, Chausson, Debussy, Grieg et Ravel

Nuits romantiques du lac du Bourget / Théâtre du Casino, Aix-les-Bains
- 29 septembre 2018
récital Nemanja Radulović et Laure Favre-Kahn aux Nuits romantiques du Bourget
© nuits romantiques du lac du bourget

« Chez Grieg, point de tragédie mais cette douce mélancolie nordique », commente le soprano Karen Vourc'h en introduction à son premier disque, Till Solveig... Ainsi l'œuvre d'Edvard Grieg sied à merveille aux Nuits romantiques du Lac du Bourget, au pied des charmants monts jurassiens (du Chat, Molard Noir, Grand Colombier). Pour présenter Grieg et ses contemporains aux mélomanes, le violoniste Nemanja Radulović, à la fois vedette spectaculaire et habitué du festival automnal, est l’interprète tout indiqué pour un récital chaleureux et passionné en compagnie de la pianiste Laure Favre-Kahn. Et en effet, par ce rayonnement personnel décuplé dans l'intimité de la bonbonnière toute de rouge couverte qu'est le Théâtre du Casino, le duo brille de mille feux, transportant le public et semant la joie de vivre.

L'amorce sur une pièce d'inspiration judaïque, Nigun d'Ernest Bloch (1923), présente le jeu hendrixien du virtuose, absorbé dans cette lamentation électrique entre bel allongement de notes et savante oppression des cordes. Le rendu est naturellement lyrique, grâce à une technique remarquable et un goût prononcé pour le tragique. De la Sonate pour violon et piano en ut mineur Op.45 n°3 de Grieg (1886-1887), le premier mouvement paraît confondant de frénésie. Il est suivi d'un véritable hymne à l'art, ouvert par quelques notes de piano, superbes, simplement idéales. Mélodie et sonorité ravissent, puis la phrase du violon, de toute beauté, et sa terrible force émouvante font de cet Allegretto expressivo alla romanza une page d'anthologie. Le final gagne encore en puissance, à mesure que les solistes le subliment, menant la danse jusqu'au délire vers un infini optimiste, ludique bien qu’encore tamisé.

Après l'entracte, place à la musique française, entrée pas à pas sur le clavier puis sur les cordes poétiques, agitées, animées d'un air marin... La mélodie ferme du piano porte l'empreinte de Grieg, le lien paraît évident avec la Sonate pour violon et piano de Claude Debussy (1917) qui commence et finit à la manière du calme et ténébreux Norvégien. Dans l'intervalle se déploient, en une grande rêverie bienveillante, le jeu expérimental et sensationnel, les arpèges et les ondes fantastiques, de Nemanja Radulović [lire nos chroniques du 7 août 2007 et du 26 septembre 2010].

Par-delà la question des influences, le comble du romantisme semble atteint ici avec Poème Op.25 d'Ernest Chausson (1896). La lente mélodie du piano, toujours grave et digne, entraîne instantanément le coeur au déchirement, avant même les premiers ornements et le profond lyrisme sombre, dépouillé, du violon tendre, sincère et fabuleux dans son solo ravageur. Le bouleversant tire-larmes prend une proportion métaphysique wagnérienne sans renier la simplicité, par la grâce d'un autre solo gigantesque, accompagné du même discours enchanteur du piano. Aux âmes tout de suite touchées par Chausson, longue vie !

Enfin, Tzigane de Maurice Ravel (1924) s'avère beaucoup plus qu'un exercice de virtuosité. Certes, Radulović excelle en toute forme, mais dans un style chantant et personnel, jouant à ralentir, s'enflammer, danser, décoller enfin comme une fusée. La complicité avec Laure Favre-Kahn [lire notre chronique du 5 septembre 2003], plaisir affiché de la meilleure manière, s’avère, aux passages les plus ardus, la clé de la réussite, pour finir devant une salle soulevée. En bis, leur frétillant entre-deux porte sur la Danse macabre de Camille Saint-Saëns, avant que la Chansons que ma mère m'apprenait de Dvořák (extraite des Mélodies tziganes Op.55) salue sobrement, en délicate dentelle, un public ravi.

FC