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Chroniques
neue Musik – französischer Komponisten
Boulez, Boulez/Schöllhorn, Dutilleux, Jolas, Pesson et Varèse
À l’initiative de la Südwestdeutsche Philharmonie, la Festsaal de l’Inselhotel de Constance – Hôtel de l’île, au bord du lac, aménagé dans un ancien monastère dont l’actuelle salle de concert occupe l’ancienne chapelle – accueille un programme d’aujourd’hui, exclusivement français. Selon l’œuvre éponyme de Gérard Pesson qui l’ouvre, ce concert, donné par les instrumentistes du Philharmonisches Kammerorchester für neue Musik, est intitulé Récréations françaises. Conçu il y a une vingtaine d’années, ce cycle de neuf bagatelles répondait à une commande conjointe de l’ensemble Recherche (qui le créa aux Wittener Tage für neue Kammermusik au printemps 1995) et du ministère des affaires culturelles du Bade-Württemberg, Land au sud duquel nous nous trouvons ce soir.
Le compositeur se fixait alors pour horizon d’interroger ce qu’ailleurs l’on perçoit comme la nature française de notre musique, quand bien même induirait-elle parfois un souvenir outre-rhénan. De L’harmonieux forgeron à la Petite danse macabre, la délicate écriture pessonienne va son discret chemin [lire nos chroniques du 10 juin 2007, du 7 juin 2010 et du 22 septembre 2012], comme intégrant le semi-effacement des fresques du lieu à ses Effet de nuit sur… et Hommage à Claire-Jeanne Jézéquel, par exemple. L’attaque franche des Barricades mystérieuses (emprunt au clavecin français du XVIIIe siècle) vient épicer un parcours dont les mouvements en solo (de clarinette, de hautbois, puis de flûte) jamais n’en sont vraiment, notre préférence allant aux surplaces secrets de la Knochenmusik.
Également écrit et créé en 1995, le bref duo pour alto et violoncelle Music to go de Betsy Jolas, qui comptera quatre-vingt dix printemps cet été [lire notre chronique du 13 mars 2009 et notre dossier d’octobre 2012], est contemporain de Schliemann, son opéra alors créé à Lyon, dont le CNSMD de Paris jouera bientôt une nouvelle mouture sous le nom d’Iliade l'amour (du 12 au 17 mars 2016) – quant à la prochaine création, c’est au Printemps des arts de Monte-Carlo qu’on la pourra découvrir (Histoires vraies pour piano, trompette et orchestre, donné le 1er avril). Conjuguant des micro-intervalles dans une intériorité presque funèbre, cette âpre mélopée happe densément l’écoute.
C’est par un bon en arrière d’une vingtaine d’années que se conclut la première partie de ce menu : nous entendons le quatuor à cordes d’Henri Dutilleux, Ainsi la nuit (1971/77), dans une lecture assez rauque qui nous le fait paraître plus radical que d’accoutumé. Nous remontons encore le temps avec le célèbre Densité 21,5 d’Edgar Varèse, composé en 1936 (plusieurs fois révisé dans les quinze ans qui suivirent). En ouverture de second round, nous en goûtons une interprétation proprement étincelante, dans un son généreux, sainement dépourvu de ces scories de souffle qui trop souvent parsème le jeu flûtistique du répertoire vingtièmiste.
Place à l’illustre voisin de Baden Baden, qui nous quittait ce 6 janvier.
Avec Dérive 1, pour commencer, conçu en 1984 parallèlement à l’élaboration de Répons qu’avaient commandé les Donaueschinger Musiktage [lire nos chroniques du 16 mars 2003, du 15 avril 2010 et du 11 juin 2015]. Après les trois opus strictement chambristes, retrouvons le très précis Franz Lang qui, à la tête de l’ensemble allemand, insuffle une version posément respirée, plus aérienne que par le maître lui-même : sans rechercher une vivacité comparable, le chef soigne une fluidité filée à long terme, pour ainsi dire. Et puisque nous voilà désormais dans la phase interprétative, l’heure est venue d’écouter le travail de Johannes Schöllhorn sur les Douze notations de Pierre Boulez. On sait avec quel goût (non sans quelque parenté avec la démarche de Pesson) ce musicien pose volontiers les yeux sur des pratiques anciennes (comme le consort de violes élisabéthain, entre autres) et les œuvres de ses pairs, qu’il s’agisse de Johann Sebastian Bach [lire notre chronique du 20 septembre 2012], de Claude Debussy, John Dowland, Józef Koffler, Max Kowalski, Francesco Landini, Maurice Ravel ou Daniel Türk.
Ainsi qu’il orchestrait en 2004 cinq Lieder de Schubert (An die Freunde, Auflösung, Freiwilliges Versinken, Heliopolis et Todtengräbers Heimweh), il s’est emparé en 2011 des Notations conçues dès 1945 pour le piano par le tout jeune Boulez [lire notre chronique du 2 novembre 2015], non pas comme d’un stimuli vers d’autres aventures – ce fut le cas près de vingt ans plus tôt avec Explosante-fixe (1972) qui avait généré Berstend-starr [lire notre chronique du 21 septembre 2006] – mais pour simplement les adapter à un effectif chambriste (flûte, clarinette et clarinette basse, trompette et trompette piccolo, trombone, violon, alto, violoncelle, contrebasse, piano et percussion). Loin des extensions imaginées par son aîné lui-même – Notations I-IV en 1980, Notations VII en 1998 [lire notre chroniques du 27 mars 2005 et du 22 novembre 2014] –, Schöllhorn suit pas à pas la partition originelle, s’employant exclusivement à l’écriture des timbres.
De fait, l’expérience est passionnante !
Si au Fantasque initial est ménagée une sonorité proche des alliages bouléziens de la maturité, Très vif flirte avec des sifflets franchement subversifs, quand l’Assez lent regarde assez évidemment du côté de Schönberg. L’influence extrême-orientale du Marteau sans maître vient pimenter Rythmique (IV), caractère sitôt abandonné pour les couleurs de Berg dans le fascinant Doux et improvisé, puis celles de Birtwistle avec Rapide (Punch and Judy n’est pas loin). Dans l’enveloppant Hiératique Boulez nous revient, celui des Improvisation sur Mallarmé. La Notation VIII (Modéré jusqu'à très vif) marie les gamelans de Messiaen à l’omniprésente sonnette de Lulu – brillant ! À cette collecte manquait Webern : il survient dans Lointain, calme. Soudain chez Eliott Carter, Mécanique et très sec (X) aurait vraisemblablement gagné à être jouée plus prestement. Après un Scintillant dont la présente variante révèle l’intuition du future Sur Incises (1998) [lire notre critique du DVD], l’arrangeur rend au piano ce que de droit, avec l’ultime Puissant et âpre, magistral et définitif. Bravo !
BB